Chapitre 1

lettrine e temps sembla suspendre son cours, juste un instant. C’était un simple moment de flottement, une seconde hors du temps pendant laquelle l’esprit de Thorsfeld se perdit en contemplation. Ses yeux se posèrent sur l’homme qui tombait au ralenti, juste en face de lui ; son épée s’échappait lentement de ses doigts, et son casque fendu laissait apparaitre un trou béant sur son front. Du sang s’en échappait, formant une traînée de gouttelettes rouges qui allaient s’écraser tranquillement à ses pieds, souillant la neige de tâches écarlates. Thorsfeld contempla le visage du soldat, figé dans un rictus disgracieux que la mort avait peint sur ses traits ; il se fit à lui-même un commentaire sur le manque de beauté de l’humain lorsque le spectre sordide de la mort se penchait sur lui, et finit par détourner les yeux.

Puis le temps reprit sa marche, et le cadavre termina sa chute, s’effondrant au sol dans un nuage de neige poudreuse. Thorsfeld profita de cet instant pour contempler le champ de bataille.

Il ne restait plus grand-chose de l’armée contre laquelle il luttait depuis une bonne demi-heure. D’ost fringuant, lancé dans la bataille avec force tambours et trompettes, ses adversaires avaient été réduits à un dernier bataillon de survivants ; les esprits les plus lents parmi eux réalisaient tout juste qu’ils ne pourraient pas gagner. Les autres l’avaient compris bien plus tôt. Pour sa part, Thorsfeld commençait à ressentir une irrépressible lassitude. Se battre contre des armées entières l’avait longtemps amusé ; puisque l’humanité toute entière était déterminée à le combattre, pourquoi ne pas en profiter ? Mais désormais, ses combats avaient un goût de réchauffé et l’ennuyaient plus qu’autre chose. Le fait que leur issue soit toujours en sa faveur en était pour beaucoup.

Thorsfeld, en effet, ne pouvait pas mourir, c’était impossible, totalement contraire aux lois qui régissaient ce monde. Les humains, sur qui la logique ne semblait pas avoir prise, s’entêtaient depuis des siècles à l’attaquer. Leurs premières armes avaient été forgées dans l’optique de le combattre. Depuis, ils n’avaient jamais perdu cet espoir irréaliste de le voir un jour mordre la poussière.

Mais c’était impossible. On ne peut tuer un Dieu ; pas Lui, en tout cas.

Thorsfeld était le Dieu-Roi. Le monde dans lequel il évoluait, et dont tous les habitants rêvaient de le détruire, s’appelait Dromengard. Et Dromengard était à lui, c’était son monde. Il l’avait construit petit à petit, pierre après pierre, seul et sans aide. Il en était le créateur ; chaque pierre, chaque arbre, chaque particule de poussière n’existait que grâce à sa volonté. S’il l’avait voulu, il aurait pu songer que l’armée qui lui faisait face n’existait pas, et chacun des soldats qui constituaient ses rangs disparaitrait, purement et simplement, comme s’ils n’avaient jamais existés. Voilà ce qui signifiait d’être omniscient et tout puissant. La seule raison pour laquelle il ne le faisait pas était qu’il aurait jugé cela plus ennuyeux encore.

Les humains tentèrent une nouvelle attaque. Une douzaine d’entre eux se jetèrent sur lui, l’attaquant de tout côté, espérant pouvoir l’atteindre par le nombre. Thorsfeld regrettait ce temps béni où ils préféraient envoyer contre lui des champions sélectionnés pour leur force et leur courage Non pas que le combat était plus équilibré, mais cela avait un tout autre panache. Désormais, les batailles étaient laides et désordonnées. Il fit un pas en avant, et la terre bougea sous ses pieds, l’amenant une dizaine de mètres en avant. Les combattants qui s’étaient jetés sur lui se trouvèrent instantanément figés dans la glace ; leur peau se couvrit de blanc et se craquela. Un instant plus tard, leurs corps se disloquaient en morceaux gelés, qui tombèrent au sol, dispersés par le vent. La neige aurait tôt fait de recouvrir toute trace de leur existence. Thorsfeld aimait beaucoup la neige.

Mais les guerriers restèrent immobiles face à lui, comme paralysés par la peur. Leur terreur était palpable, malgré le soi qu’ils prenaient à se dissimuler derrière leurs boucliers. Aucun d’eux ne voulait fixer le Dieu-Roi, mais ils ne pouvaient s’en empêcher : l’apparence de leur créateur attirait leurs yeux, emplissant leur regard d’une fascination irrésistible. Voir Thorsfeld face à soi était toujours synonyme d’une mort atroce et immédiate, et c’était une vision aussi terrifiante que rarement décrite.

Le visage du Dieu-Roi était illuminé d’un sourire narquois, qui avait été décrit dans maintes légendes. Sa tête était ceinte d’une couronne dorée dont l’éclat inondait ses cheveux noirs comme la nuit ; son menton était couvert d’une barbe courte, et ses yeux cernés de noir étincelaient d’une lueur captivante. Beaucoup d’histoires racontaient que son regard transformait en glace ceux qui avaient la malchance de le croiser.

Il portait une grande cape noire dont l’extrémité semblait flotter entre songe et réalité. Elle se fondait dans les airs tel un tissu évanescent dont l’œil ne pouvait saisir les ondulations. Son armure était faite d’une matière rappelant à la fois la pierre, l’acier et glace, et était couverte de motifs complexes, d’arrêtes acérées et de sculptures ondoyantes. Des puits de lumière multicolores brisaient sa surface sombre, mosaïques de lumières perdues dans les ténèbres de l’acier, semblant orner l’armure du Dieu-Roi de vitraux à l’apparence sibylline et aux couleurs vibrantes. L’apparence de Thorsfeld était à la foi terrifiante et magnifique, sinistre et apaisante.

Thorsfeld, le Dieu-Roi

Par trois fois, des groupes de soldats l’agressèrent, multipliant les angles d’attaque. Leurs cadavres eurent tôt fait de rejoindre ceux de leurs camarades, accompagnés de cris de souffrance alors que des lames de glace les transperçaient, que leur peau fondait sur leurs os ou que leurs cœurs explosaient dans leur poitrine. Thorsfeld avaient mis au point mille façons de briser ses jouets. Désormais, il aurait dû faire attention s’il avait voulu éviter de piétiner des cadavres en marchant. S’il avait voulu.

Il inspira une grande bouffée de l’air gelé de Dromengard qu’il aimait tant. L’atmosphère glacée lui emplit les poumons, et acheva de le convaincre qu’il s’ennuyait, désormais. Cette bataille avait perdu toute saveur, comme un chewing-gum trop longtemps mâché.

La neige se mit à tomber à gros flocons, qui s’agglomérèrent autour de lui dans une spirale blanche et duveteuse, le dotant d’ailes de glace éthérées. Il s’éleva au-dessus du champ de bataille, laissant au sol les survivants du massacre. D’en haut, il voyait mieux les ruines de la ville qui s’étendaient à ses pieds. Quelques jours auparavant, il avait sélectionné la cité d’Orsmarhel pour être le théâtre de son prochain affrontement contre l’humanité. La ville avait été évacuée en toute hâte, et une armée imposante s’était massée à ses portes. Elle avait observé la ville se faire réduire en ruine pendant des heures, avant de se décider à attaquer. Désormais, il ne restait de la cité d’Orsmarhel que des squelettes de pierre et des cratères de terre gelée, hantés par les âmes des soldats qui avaient eu la folie de relever le défi du Dieu-Roi.

Thorsfeld leva le bras, et le ciel au-dessus de sa tête sembla se distordre sous l’action de son pouvoir. Les nuages s’assombrirent et commencèrent à tourner sur eux-mêmes, formant une spirale noire menaçante. La neige cessa de tomber, et l’univers tout entier parut se vider de sa lumière. Puis la mer de nuage se creva au centre du tourbillon, s’ouvrant sur une vague de lumière qui baigna les ruines de la cité. Le ciel ressemblait à un cyclope titanesque, tournant son œil lumineux vers la terre, inondant le sol et les âmes d’une terrible lueur.

À ce moment précis, les visages de chaque soldat se tordirent sous l’effet de la peur. Chacun d’eux su, à cet instant même, qu’il allait mourir. Ils connaissaient ce phénomène.

Gudenlyn.

La foudre du Dieu-Roi, le jugement ultime du Créateur, qui s’abattait sur ses créatures, foudroyant les impudents ayant osé s’opposer à son pouvoir. Les légendes en parlaient, mais personne n’avait jamais survécu à cette vision. Personne.

Le bras de Thorsfeld s’abattit, et le ciel obéit à son ordre, déversant sur la terre un rayon de lumière à une vitesse folle, qui emplit l’espace en un instant. L’air sembla devenir épais, électrique, alors que la colonne lumineuse se fracassait contre les ruines dans un grondement formidable, plongeant la vallée au cœur de sa lumière, dans un périmètre de plusieurs kilomètres. Il ne fallut qu’une seconde pour que Gudenlyn réduise à néant la conscience des soldats survivants, vaporisant leur peau et réduisant en cendre leurs os. Thorsfeld ressentit l’agonie muette de centaines de vies se faisant faucher tout autour de lui.

Très vite, le bruit du tonnerre se tut, et la lumière commença à se dissiper. Il regarda autour de lui. Tout n’était que désolation : la neige avait fondu, dévoilant une terre brûlée seulement couverte de poussière et de débris calcinés. À des kilomètres, toute vie s’était éteinte. Cet endroit porterait la cicatrice horrible de Gudenlyn pendant des décennies, peut-être même des siècles. Les nuages avaient repris leur forme habituelle, blanchâtre et uniforme, et la neige recommençait à tomber. Thorsfeld était finalement satisfait : enfin, il pouvait aller s’occuper ailleurs. Sa soif de carnage avait été rassasiée. Il tourna sur lui-même en se posant au sol.

Avant même que ses pieds ne touchent terre, il remarqua une anomalie : des humains. Vivants.

Impossible.

Impossible, et pourtant vrai : un groupe de soldat se tenait à une centaine de mètres de lui, l’air hébétés mais sains et saufs, comme un îlot épargné au milieu des terres ravagées. La neige sous leurs pieds n’avait pas même fondue. Le Dieu-Roi perdit soudain le sourire qu’il avait affiché sans discontinuer depuis le début de la bataille, et posa un regard brûlant d’incompréhension sur eux. Comment avaient-ils pu survivre ?

Les combattants semblaient eux-mêmes étonnés d’être encore vivant. Puis le groupe de survivants se scinda en deux pour laisser passer l’un d’entre eux ; Thorsfeld distingua une silhouette chétive portant une épée à large lame. Il s’approcha et put enfin détailler la personne qui s’avançait vers lui : c’était une jeune fille, vêtue d’une armure dépareillée ; ses pas étaient hésitants.

Il y avait dans sa voix une solennité qui agaça immédiatement Thorsfeld. Il garda le silence en jaugeant la jeune fille. Elle devait avoir une quinzaine d’années, pas plus, mais son air sévère la faisait paraitre plus âgée. Sa peau brune faisait contraste avec ses cheveux gris clairs. Elle n’était pas vraiment belle, plutôt quelconque ; ses traits étaient même assez grossier. Mais ses yeux oranges brillaient d’une lueur féroce, et semblaient vibrer d’une détermination inébranlable qui donnait à son visage quelque chose de captivant. Quiconque aurait plongé son regard dans celui de cette gamine aurait pu y voir une conquérante en devenir.

Freya défie Thorsfeld

Thorsfeld resta coi pendant quelques secondes, puis il éclata de rire. Il resta hilare pendant un long moment, alors que les soldats le regardaient en se demandant si le moment n’était pas venu de prendre la tangente.

La mythologie de Dromengard parlait d'Edelynenlassja, Thorsfeld le savait. Mais bien sûr, elle n'existait pas, et il aurait fallu être stupide pour croire le contraire : comment lui, le Dieu-Roi, créateur du monde et de toute chose, aurait-il pu autoriser l'existence d'une lame capable de le vaincre ? Il était le seul Dieu de Dromengard, et toutes les autres divinités telles qu'Edelyn n'étaient que des personnages de fiction, des chimères inventées par les humains pour remplir leurs livres religieux et se rassurer lorsque la colère de Thorsfeld s'abattait sur eux. La lame d'Edelyn n'était que le réceptacle de l'éternel fantasme qu'avaient les humains de le voir chuter de son trône. Cette gamine se berçait d'illusions si elle pensait réellement posséder une arme capable de blesser Thorsfeld, et il comptait le lui faire comprendre de la plus cruelle des manières. Ensuite viendrait le tour des autres survivants.

Il ouvrit la main et fendit l'air de son bras. Aussitôt, les soldats furent éloignés d'eux, comme tirés en arrière par une force invisible. Freya lança des regards affolés sur le côté, et vit la terre s'affaisser autour d'elle et de Thorsfeld, formant un gouffre dont le fond se perdait dans les ténèbres. Elle et le Dieu-Roi se trouvaient désormais sur une arène totalement séparée des soldats survivants.

Thorsfeld fit un pas vers elle. Elle tourna le visage vers lui, affolée. Sa respiration était devenue lourde et saccadée, et des gouttes de sueur perlaient sur son front. Thorsfeld n'avait pas besoin de pouvoirs divins pour s'apercevoir que sous les apparences sévères et courageuses qu'elle tentait de se donner, elle était en proie à la terreur la plus atroce. Elle semblait paralysée, les mains crispées sur la garde d'Edelynenlassja. Elle fit un pas en avant, qui sembla lui demander un effort immense, et leva son épée. Thorsfeld, lui, croisa les bras ; il fit un geste vers la jeune fille, l'invitant à s'approcher. Son visage affichait de nouveau le sourire narquois et assuré de celui qui n'a aucun doute quant à sa victoire.

Soudain, Freya poussa un cri et se jeta sur lui. Elle fendit l'air de sa lame ; Thorsfeld admira la dextérité de la jeune fille, qui semblait parfaitement entrainée, ainsi que la force avec laquelle elle agitait la lourde épée. Malgré cela, aucun de ses coups ne le touchèrent. Il semblait se contenter de s'écarter tranquillement à chacun des assauts de son adversaire, mais en réalité, il bougeait incroyablement vite, dans un mouvement que les soldats, réduits au rang de simples spectateurs, parvenaient difficilement à distinguer. La jeune fille tenta une attaque de plus, mais manqua le Dieu-Roi qui s'était retrouvé instantanément sur son flanc, sans qu'elle ne le voit bouger. Le sourire du Dieu-Roi commençait à s'effacer, et si quelqu'un avait pu se vanter de bien le connaitre, cette personne aurait compris qu'il commençait à se lasser.

Elle tenta un dernier coup désespéré. Ses mains serrèrent la garde de l'épée plus que jamais, et elle leva le bras, faisant décrire à sa lame un large arc de cercle. Mais le coup ne s'abattit pas : ses bras restèrent levés en l'air, comme attachés à des fils invisibles. Ses mains se desserrèrent et elle lâcha l'épée, qui vint se ficher dans la terre à ses pieds. Elle resta suspendue, incapable de bouger le moindre muscle, totalement immobilisée. Thorsfeld avait fini par se lasser d'elle.

Il s'approcha d'elle lentement, pas après pas. Il contempla son visage crispé ; elle semblait sur le point de perdre connaissance tant sa peur était intense. Voilà qui plaisait à Thorsfeld. Il approcha son visage du sien, la regarda un instant dans les yeux, puis se décala et lui parla dans l'oreille à voix basse.

Elle le regarda sans comprendre. Elle devait tourner les yeux à l'extrême pour compenser l'impossibilité de tourner son cou.

Il leva brusquement la main, et posa l'index sur le front de Freya, juste au-dessus du sourcil droit. Puis il parcourut la peau de son visage, passant le doigt sur l'œil et la joue. Une trainée rouge le suivait, se dessinant nettement sur la peau de la jeune fille. Lorsque le doigt de Thorsfeld fut arrivé au milieu de sa joue, le Dieu-Roi se releva soudain, et Freya sentit sa peau et son œil se découper ; le sang se mit à couler, inondant la partie droite de son visage de rouge. Puis la douleur fit son effet, et elle s'effondra face contre terre avec un cri de souffrance, incapable de rester de marbre plus longtemps. Délivrée de son immobilisation mais haletante et en proie à une douleur qui se diffusait dans tout son crâne, elle sentit la chaleur du sang couler contre sa joue, alors que son œil crevé cessait définitivement de voir.

Elle se releva après quelques secondes, la main plaquée contre le visage ; son gant devenait peu à peu écarlate, imbibé de son sang, et ses jambes tremblaient. Mais l'œil qu'il lui restait était toujours habité de la même soif de survie, de ce même charisme étrange qui avait intéressé Thorsfeld quelques minutes auparavant.

Elle ne répondit pas.

D'un geste de la main, il fit se résorber le vide qui le séparait des soldats. La terre reprit sa place en quelques secondes, créant un passage entre lui et eux. Certains semblaient prêts à se jeter dans sa direction. Il le sentait : ils avaient envie d'en découdre. Peut-être pour venger la gamine… Cette pensée le remplit d'une joie féroce, qui s'envola soudainement lorsqu'il referma la main sur la garde d'Edelynenlassja, toujours plantée dans le sol. Car lorsqu'il tenta de soulever l'épée, il en fut incapable. C'était comme s'il n'avait aucune force ; la lame restait obstinément coincée dans la terre gelée. Il y mit toute sa force, jusqu'à ce que son visage forme une grimace d'effort, un point auquel il ne s'était jamais abaissé.

Soudain, il sentit une force le pousser dans le dos. Freya s'était jetée sur lui, le renversant par surprise. Il tomba au sol ; il ne lui fallut qu'une seconde pour se retourner, le visage habité d'une colère sans précédent. C'était plus de temps qu'il n'en avait fallu à Freya pour saisir son épée, la tirer du sol avec facilité, et se jeter sur Thorsfeld en monopolisant le peu de force qu'il lui restait. La rage qu'affichait le Dieu-Roi se transforma en surprise lorsqu'il ressentit une chose à laquelle il n'était pas habitué : de la douleur. Edelynenlassja se planta dans sa poitrine, pénétrant son armure et sa peau comme de la neige molle, avec une facilité déconcertante. Sa lame transperça entièrement le Dieu-Roi au niveau du cœur, l'immobilisant au sol. La jeune fille resta quelques secondes immobile, les deux mains sur la garde de son épée, jaugeant Thorsfeld de haut. Quelques gouttes de sang perlaient à l'extrémité de son menton, échouant sur le plastron du Dieu-Roi lorsqu'elles se détachaient de sa peau.

Thorsfeld mit quelques instants à réaliser ce qui venait de se passer.

« C'est impossible », pensa-t-il. Il ne se demanda pas pourquoi il avait laissé vivre Freya, ni comment elle avait eu la force de se jeter sur lui de nouveau. Il ne se posa aucune question, car il ne pouvait exister aucune réponse. Une humaine l'avait vaincu, lui, le Dieu Créateur, l'origine de toute chose. Ça ne pouvait pas être possible ; Freya ne pouvait pas le regarder de haut, le visage inondé de sang, le regard triomphant. Son épée n'avait pas pu pénétrer sa chair. Les autres survivants ne pouvaient pas être en train de regarder la scène en retenant leur souffle, peinant à réaliser l'énormité de ce qui venait de se dérouler sous leurs yeux. Tout cela était impossible. Ça ne pouvait pas arriver.

Les mains de Thorsfeld attrapèrent la lame d'Edelynenlassja machinalement, sans qu'il y pense, comme pour la retirer, mais c'était trop tard. Il sentait déjà que son esprit sombrait dans les ténèbres ; son corps ne répondait plus. Peu à peu, son armure se vidait de sa lumière, devenant une simple masse d'acier froid et mort. Il ne pouvait même plus lutter : c'était terminé.

Et d'un geste brusque, elle arracha sa lame de la poitrine de Thorsfeld. Elle n'était pas souillée d'une seule goutte de sang. Le Dieu-Roi poussa un cri terrible, qu'aucun humain n'aurait pu produire. La clameur de son agonie se diffusa dans l'espace, se répercuta sur chaque montagne, résonna dans chaque vallée, dans chaque plaine de Dromengard pendant un temps qui sembla infini.

Lorsque le corps de Thorsfeld eut laissé échapper son ultime spasme, le sol s'ouvrit sous lui. Freya dut s'écarter pour ne pas être avalée par la terre, qui s'ouvrit et laissa entrevoir une lumière bleutée rayonnant du fond des abysses. Lentement, comme si la pesanteur ne s'appliquait pas à lui, Thorsfeld s'enfonça dans la lumière. Quand son cadavre eut totalement disparu dans les profondeurs, la terre se referma, et rien ne laissa jamais plus entrevoir qu'à cet endroit s'était déroulé le duel le plus important de toute l'Histoire de Dromengard. Seule la couronne du Dieu-Roi resta là, parfaitement posée à terre, seule preuve de la chute de Thorsfeld.

La chute du Dieu-Roi

Les soldats virent Freya chanceler. Quelques-uns se précipitèrent vers elle, mais trop tard ; elle s'effondra dans la neige, inconsciente.

Elle venait de tuer le Dieu-Roi.

Au même moment, dans le lit d'un appartement sombre de Paris, un jeune homme se réveilla en sursaut, couvert de sueur.

Il s'appelait Erik Nyquist. Il ne fit pas attention à l'afficheur digital de son réveil, qui indiquait quatre heures dix du matin avec de gros chiffres rouges brillant dans la nuit ; il se contenta de fixer le mur en face de lui, en passant la main sur sa poitrine, à la recherche d'une blessure qui n'y était pas.

Erik Nyquist et le dur retour à la réalité

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