Ce chapitre n'est pas encore illustré !

Chapitre 28
Retour à la civilisation

Freya descendit de l'ascenseur avec hâte. La remontée du Termalath s'était faite dans un silence de mort. Thorsfeld et Ark lui emboitèrent le pas.

  • Je vais avoir besoin d'envoyer un message à la capitale, énonça Freya en direction d'Ark, brisant le silence pesant qui saturait l'atmosphère. Non, en fait, il vaut mieux que j’en envoie un au quai d’Halsring, qu’ils appellent un bateau. Ça réduira l’attente une fois en bas. D'après les dernières informations que j'ai reçues, une caravane de réfugiés doit se diriger en ce moment-même vers Dolenhel, en provenance de la bordure d'Hindenland ; si je pouvais la rejoindre en route… Est-ce que je peux voir une carte de Dromengard ?

Trois paires d'yeux la regardèrent, circonspects face à son énergie soudaine.

  • Il y a le globe, commença Edda.

Thorsfeld la regarda, puis redirigea son regard vers Freya.

  • En effet, dit-il. Suivez-moi.

Ils pénétrèrent en file indienne dans la grande salle, qui avait été débarrassée par Adda des restes du petit-déjeuner. Thorsfeld menait le groupe, empruntant l'escalier de marbre entouré de petites cascades d'eau qui dégringolait de la pyramide centrale en clapotements joyeux.

Ark regardait en l'air, en direction de cette grande boule qui avait surplombée la table pendant des jours sans qu'il puisse déterminer son utilité. Son visage s'éclaira soudain lorsqu'il comprit l'usage de la sphère.

  • Oh. Le globe, dit-il. D'accord. C'était ça.

Freya, elle, n'avait pas l'air de comprendre, mais Thorsfeld ne se répandit pas en explications.

  • Edda ? demanda-t-il d'un ton impérieux. L’escalier.
  • Aye, monsieur.

Et de la même façon qu'elle avait allumé la lumière précédemment, elle frappa dans ses mains, deux coups secs qui résonnèrent sur les murs de la grande salle en de longs échos qui se faufilèrent sans fin entre les colonnes et les bougies flottantes. Le son se faisait encore entendre lorsque des morceaux de marbre massifs sortirent de l'eau qui entourait la table, volant en l'air comme s'ils ne pesaient rien, et se placèrent dans un lent ballet aérien comme les lourdes marches d'un escalier invisible, tournoyant en une vaste spirale entre les bougies et les colonnades, se perdant dans les sombres hauteurs de la pièce, jusqu'à former un chemin précis entre le sol et le globe qui lévitait au plafond.

  • Après vous, fit Thorsfeld avec un geste de main engageant.

Ils montèrent tous les trois, l'un après l'autre, sur l'escalier dont les marches étaient justes assez espacées pour laisser paraitre le vide entre chacune d'elles. Freya et Ark entreprirent l'ascension précautionneusement ; Thorsfeld lui-même ne faisait pas le fier, au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient du sol. Finalement, ils arrivèrent à la base de la sphère géante, où s'ouvrit un trou laissant entrevoir de la lumière. Ils se glissèrent à l'intérieur.

Là, ils découvrirent une merveille qui vint s'ajouter à la longue liste de toutes celles qu'ils avaient vues depuis leur arrivée à Dole-Halsring : l'intérieur de la boule était une reproduction miniature de Dromengard, laissant entrevoir de bas en haut le détails des mers, des forêts et montagnes du monde du Dieu-Roi, parfaitement représentés avec creux et relief. Si l'objet avait été réalisé par un artisan, ce serait un chef-d'œuvre ; mais comme tout ce que contenant Dole-Halsring, c'était une création de Thorsfeld. Au centre de la sphère brillait un soleil miniature qui offrait sa lumière à l'intégralité du globe.

  • Hm, marmonna Freya. Une carte aurait suffi. Mais j'imagine que c'est aussi bien.

Elle s'aventura dans les alentours du royaume d'Alylyancë, dominant de toute sa hauteur les détails miniature de la carte, projetant une ombre qui paraissait gigantesque et s'étendait sur des centaines de kilomètres de montagnes, de lacs et de vallées. Ark, lui, était déjà allé voir Nornfinn, et constata ainsi qu'en tant que reproduction fidèle de Dromengard, le globe en possédait les propriétés gravitationnelles : il était possible d'en faire le tour sans jamais tomber, ni même avoir la sensation de se trouver à l'envers. Il pouvait contempler Freya et Thorsfeld se trouver à l'opposé de lui sur le globe, de l'autre côté du soleil. Le sentiment que cela lui inspirait était grisant.

Le trou qui s'était ouvert pour leur permettre de pénétrer à l'intérieur se ferma lorsqu'ils s'en furent tous éloignés, laissant apparaitre la forme d'Halsring, perdue au milieu d'une étendue de bois ondulé sur lequel était écrit en lettre argentées finement gravées « Mer d'Alfrost ». La reproduction miniature de l'île était surmontée par Dole-Halsring, bien moins haute qu'elle ne semblait l'être en réalité.

Freya ne passa pas longtemps à s'extasier devant la beauté de cette carte parfaite ; sans doute les jours passés à Dole-Halsring avaient-ils finis par émousser son sens de l'émerveillement. Elle se déplaça à un point situé presque à mi-chemin entre les rives de la mer d'Alfrost et les plaines de la capitale impériale.

  • Voyons… Si je débarque du côté d’Olhanhel… Je peux rejoindre la vallée ici en passant uniquement par des terrains dégagés… En moins d’une journée… La caravane doit nécessairement passer par ici…
  • Tu as dit que c’était une caravane de réfugiés ? demanda Ark.
  • Oui, répondit-elle en levant la tête vers le Prince de Nornfinn, se tenant à l’opposé du globe. Apparemment, des villages d’Hindenland ont décidé de rejoindre Dolenhel. Il y a eu énormément de disparitions attribuées aux Ombergeists là-bas.
  • On les a vus. À leur place… Je ferais pareil.
  • J’imagine qu’ils se sentiront plus en sécurité derrière les murs de la capitale. Je ne sais pas où on va les loger, cependant…

Elle continua à planifier son voyage en silence, suivant des yeux les reliefs de la région d’Olhanhel qui s’étendaient à ses pieds. Ark parcourut la moitié du monde en quelques pas pour se rapprocher d’elle.

  • Crois-tu que je pourrais me joindre à toi ? demanda-t-il.
  • Tu veux aller à Dolenhel ?
  • N’oublie pas qu’on a passé un accord. Ce que tu y trouveras pourrait m’aider. Et j’ai des choses à y voir.
  • Je ne peux pas t’empêcher d’aller à Dolenhel. C’est toi qui vois. Mais une fois là-bas, je te conseillerais de rester discret ; si quelqu’un apprend qui tu es…
  • J’ai fait profil bas pendant des années avec succès. Je crois que je pourrais continuer.
  • Comme tu veux.

Thorsfeld, qui était resté longtemps silencieux, se rapprocha à son tour.

  • Si vous allez à Dolenhel, je viens aussi, dit-il sur un ton catégorique.
  • Non.

Freya avait immédiatement répondu, comme par réflexe. Thorsfeld la regarda en fronçant les sourcils.

  • Tu ne peux pas m’empêcher de venir à Dolenhel, dit-il.
  • Hum… Si. Si, je peux.
  • Je t’ai accueillie chez moi, pas vrai ? Tu as vu le temps que tu es restée ici ? Tu t’es faite servir par MES valets, tu as mangé MES provisions, dormi dans un de MES lits et portés des habits qui… Bon, que je ne porterais pas, bien sûr, d’ailleurs je ne sais pas pourquoi on a des vêtements féminins ici, mais… Enfin, l’idée, c’est que tu es une sacrée ingrate !
  • Il a raison, fit Ark en direction de Freya.

Elle le regarda avec des yeux qu’on aurait cru capables de sortir de leurs orbites pour se jeter sur lui et le poignarder sauvagement.

  • Ne me regarde pas comme ça, protesta-t-il. Ce qu'il dit est vrai. Tu ne peux pas lui refuser ça.
  • Mon pauvre Ark, tu t'attaches bien trop vite, lui lança Freya. Si tu crois t'être fait un ami en qui tu peux avoir confiance, sache que tu te trompes. Tôt ou tard tu regretteras de ne pas l'avoir étranglé quand tu en avais l'occasion.
  • Jusque-là, il n'a en effet pas encore essayé de me faire la peau, dit Thorsfeld. C'est une qualité rare, à Dromengard.

Freya s'éloigna vers l'entrée du globe, qui s'ouvrit de nouveau à son approche.

  • Très bien, fit-elle. Vous savez quoi ? Faites comme vous voulez. On va partager le bateau de retour, et vous pourrez vous trouver une place dans un coin de la caravane. Mais je vous préviens : une fois à Dolenhel, vous n'existez plus pour moi.
  • Alors il suffisait d'aller à Dolenhel pour ça ? dit Thorsfeld avec un sourire moqueur. Si j'avais su, je m'y serais rué à la première occasion.

Sans répondre à la provocation, Freya disparut dans le trou à la base du globe, pour regagner la grande salle.

Les préparatifs du départ furent brefs. Aucun des trois n’avait beaucoup de choses à emporter ; Freya se montra vêtue des habits avec lesquels elle était arrivée ainsi que de sa cape blanche. Thorsfeld et Ark gardèrent les vêtements qu’Adda et Edda leur avaient fournis, revêtant en plus de cela d’épaisses capes en prévision du froid qu’ils rencontreraient en s’approchant de Dolenhel.

Ark avait envoyé son oiseau vers le quai d’Halsring, porteur de l’ordre d’appeler un navire Alfrost. L’embarcation arriverait sans aucun doute peu de temps après qu’ils aient descendu les falaises de l’île du Dieu-Roi et atteint le quai, grâce aux pouvoirs de communication à distance que possédait l’Alyv qui tenait la permanence du bureau des navettes.

Le plan était simple : prendre le bateau jusqu’à Olhanhel, puis marcher jusqu’à rencontrer le chemin que devait emprunter la caravane. Ils n’auraient sûrement aucun mal à rattraper le lent cortège en charge de ramener des centaines de personnes vers la capitale. Le chemin vers Dolenhel serait alors un long voyage tranquille.

Adda et Edda vinrent saluer Thorsfeld, Ark et Freya lorsqu’ils passèrent la porte de Dole-Halsring. Le groupe s’engagea dans la longue descente des falaises, parcourant en sens inverse le chemin tortueux qu’ils avaient emprunté à l’aller. La majeure partie des conversations étaient entretenues entre Thorsfeld et Ark, ou entre Ark et Freya ; l’ambiance était toujours aussi glaciale entre l’ex-Dieu-Roi et la jeune fille, qui prenaient garde à marcher aussi loin que possible l’un de l’autre. Ils passèrent de palier en palier, enjambant les ruisseaux d’Alfrost qu’ils savaient maintenant provenir du Termalath, et évitant avec soin les Brannentrads, au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient de la surface brumeuse de la mer d’Alfrost.

Pendant toute la descente, Freya sembla sur le qui-vive, jetant des coups d’œil autour d’elle, vérifiant chaque coin d’ombre, chaque cachette potentielle avec une méfiance plus frénétique encore qu’à son habitude.

  • Aurais-tu peur que Hel surgisse de derrière un rocher ? lui demanda Ark.
  • Je te trouve bien détendu à ce propos, lui répondit-elle. On ne l’a toujours pas retrouvé ; je continue personnellement à croire qu’il est peut-être encore vivant.
  • Si c’était le cas, n’aurions-nous pas vu un fil de lumière proche de nous, quand nous étions dans le Termalath ? demanda le Prince de Nornfinn en direction de Thorsfeld, comme pour requérir confirmation de sa part.
  • J’imagine que oui, fit Thorsfeld. Les fils lumineux les plus proches étaient au niveau d’Alfranhel ou d’Olhanhel. S’il n’est pas mort, il a quitté Halsring.
  • Je n’y avais pas pensé, admit Freya.

Tout comme Ark, leur visite du Termalath lui semblait toujours irréelle, plusieurs heures après avoir traversé la croute terrestre et s’être retrouvé à l’extérieur de Dromengard, entouré par l’océan d’Alfrost. Ils avaient été témoin d’une scène qui n’était possible que dans les livres religieux, et aucun d’eux n’avait la certitude d’avoir réellement vécu ce moment de dimension mythologique.

Ils n’eurent à attendre qu’une petite heure une fois en bas, avant qu’un navire Alfrost accoste sur le quai. Thorsfeld embarqua sans montrer d’émotion particulière, mais quitter Halsring était un déchirement. Il se jetait dans la gueule du loup en se rendant à Dolenhel, il le savait ; et pourtant, il n’avait pas le choix. Il devait s’y installer et, une fois là-bas, trouver un moyen d’accéder à sa couronne, conservée sous haute protection dans la collection de l’Empereur. Il n’avait aucune idée de la façon dont il s’y prendrait, et était même persuadé de se faire emprisonner ou tuer avant d’y arriver – sans aucun doute des mains de Freya. Ainsi regarda-t-il Halsring s’éloigner, et avec elle le dernier endroit de Dromengard où il était chez lui. Reverrait-il Dole-Halsring, Adda, Edda, et tout ce qui constituait son confort personnel au sein de son domaine ? Respirerait-il encore cet air frais aux senteurs enivrantes qui embaumait son île ? Il s’en remplit les poumons une dernière fois, et rentra dans sa cabine où un lit l’attendait.

Le sommeil ne le retint pas longtemps. Fatigué de tenter le plongeon dans un demi-sommeil rempli de rêves indistincts mêlés de flash blancs et de murmures incompréhensible, Thorsfeld finit par se relever dans son hamac. Par la petite fenêtre étroite qui constituait la seule ouverture sur l’extérieur de la coque du bateau, il pouvait apercevoir l’étendue blanchâtre de l’Alfrost qui devenait vapeur en pénétrant dans l’atmosphère de Dromengard, créant des petites volutes de fumée épaisse ça et là, se perdant dans le bleu sombre du ciel nocturne. Assit en travers de son couchage, il balaya de la main quelques gouttes de sueur qui avaient réussi à s’aventurer sur son torse malgré le froid ambiant ; ses doigts parcoururent les reliefs escarpés que sa cicatrice dessinait sur la peau couvrant son cœur, sans pouvoir se convaincre de la regarder. Depuis plusieurs jours, les trainées violacées des rides qui parcouraient son ancienne blessure le dégoûtaient, et il avait fini par éviter d’y poser son regard.

Il enfila son manteau directement sur sa peau nue et quitta sa cabine pour aller prendre l’air sur le pont.

L’air était sec et frais, le ciel dégagé et la nuit se trouvait plongée dans un silence apaisant seulement brisé par les clapotis discrets de l’Alfrost contre la coque du navire. Le pont était désert, et seule une silhouette derrière la barre, à l’opposé de l’embarcation, signifiait la présence du capitaine pour guider le bateau à Olhanhel.

Le regard de Thorsfeld se perdit à l’horizon. Il ne pouvait pas dire qu’il n’avait pas sommeil ; depuis qu’il était bloqué à Dromengard, ses nuits avaient été courtes et tourmentées. Mais ce genre de cauchemars indistincts qui le laissaient planer dans une transe somnolente le rebutaient ; ce n’était pas qu’il ne pouvait pas dormir, simplement qu’il ne le voulait pas. Mais sa fatigue accumulée lui rappelait la période pendant laquelle il avait été incapable de se rendre à Dromengard ; il s’était alors laissé aller à la morosité. La situation inverse n’était pas plus enviable.

Le bateau avançait tranquillement sur la mer d’Alfrost, en un arc de cercle léger, ne laissant trainer derrière lui qu’une longue ondulation à la surface. L’attention de Thorsfeld était perdue dans le vague, et ses yeux regardaient un point au loin sans rien y voir, comme s’il contemplait un détail invisible bloqué devant son visage. Puis soudain, son regard se focalisa à l’avant du bateau. Quelle était cette ombre qui se profilait sur le chemin du navire, déchirant l’uniforme blancheur de l’Alfrost ? Il ne fallut que quelques secondes avant qu’un nuage déserte l’espace entre ciel et terre, laissant le soleil nocturne éclairer ce que l’ex-Dieu-Roi contemplait. Des récifs.

  • Holà ! cria-t-il en direction du capitaine inattentif. Il y a un obstacle à l’avant ! Vous n’allez pas nous précipiter dessus, tout de même ?

Pas de réponse.

Il se dirigea vers la barre, fulminant déjà en face de ce marin incapable de faire son travail ; s’il n’avait pas remarqué les récifs, qui sait ce qui serait arrivé ? Ils auraient pu couler, purement et simplement ! Et dans la mer d’Alfrost, nager jusqu’à la rive n’était pas une option. Le genre de baignade qui vous laisse de glace…

  • Vous dormez, ou quoi ? lança Thorsfeld d’une voix furibonde.

Il dépassa le mat central du bateau, se dirigeant d’un pas décidé vers la silhouette indistincte du capitaine. Un détail attira son attention. À la base du mat. Un détail important, néanmoins. Important comme le corps sanglant du capitaine cloué au bois par un poignard lui traversant la gorge de part en part.

Le regard de Thorsfeld se posa sur le cadavre, puis dévia lentement vers la barre. La silhouette avait disparu ; à sa place se tenait un oiseau noir aux ailes rouges, perché sur la roue de bois. Il sentit son cœur accélérer sous la cicatrice. L’oiseau posa ses petits yeux sombres sur lui, et il sentit un couteau se glisser sous sa gorge ; son cœur se lança dans un numéro de claquettes frénétique.

  • Dans quelle cabine se trouve Freya Helland ? croassa l’oiseau.

Thorsfeld était totalement immobilisé. Derrière lui, on le retenait fermement, sans qu’il puisse voir son agresseur. Mais il n’en avait pas besoin : il savait de qui il s’agissait. C’était Hel, bien sûr.

  • Elle est restée à Halsring, fit l’ex-Dieu-Roi d’une voix hésitante.
  • Bien essayé.

Un élancement fulgurant lui perça le crâne lorsque le mercenaire lui frappa la tête du manche de son couteau. Il s’écroula à terre avec un cri de douleur.

Hel lui tournait autour tranquillement, sans aucun geste brusque. Il ne lui accordait pas même un regard ; visiblement, tout comme la parole, la vue était aussi le travail de l’oiseau. Thorsfeld put voir que le mercenaire était dans un sale état : son casque, autrefois parfaitement lisse et brillant comme un miroir, était cabossé, poussiéreux, et oxydé. Ses vêtements étaient froissés, au mieux, déchiré à maints endroits, et crasseux comme portés pendant des jours et des nuits dans les conditions difficiles d’Halsring. À son apparence générale, on aurait pu croire qu’il avait survécu à l’écroulement d’un pan entier de falaise et à une série d’explosion. Et dans ce cas, bien évidemment, on aurait raison.

  • Tu n’es pas mort, dit Thorsfeld en faisant preuve d’une capacité d’observation qui tenait du génie.
  • Non, aujourd’hui, pas encore, répondit le mercenaire. Je répète. Freya Helland, quelle cabine ?
  • La seconde à droite après l’escalier, fit la voix lointaine de Freya. Mais je n’y suis pas en ce moment.

Thorsfeld et l’oiseau tournèrent la tête de concert vers la porte qui donnait sur l’intérieur du bateau. Deux paires d’yeux purent ainsi constater la présence de Freya, épée au clair, que les injonctions de Thorsfeld avaient attirée à l’extérieur. La porte s’ouvrit brusquement, laissant apparaitre Ark, fusil au poing, qui ne mit pas plus d'une seconde à comprendre la situation et à effacer la surprise sur son visage. Ils se dirigèrent tous deux vers Hel, le pas mesuré, les yeux méfiants.

  • Ça, je le sentais venir depuis des jours, dit Ark.
  • Alors tu as eu tout le temps de te préparer pour ce qui va suivre, répliqua Freya.

L’oiseau rejoignit Hel d’un coup d’aile et se percha en sécurité au sommet de son casque. Le mercenaire ne lâcha pas Thorsfeld, toujours maintenu au sol avec une implacable fermeté.

  • Un pas de plus, et votre groupe perd un membre, lança Hel ; son couteau était plus proche de la gorge de Thorsfeld qu’il ne l’aurait été si ce dernier l’avait avalé.
  • Sérieusement ? demanda Freya en regardant Hel d’un air atterré. Tu me menace de le tuer lui ? Et tu penses que ça va fonctionner ? Tu n’es pas un très bon juge de caractère.

Ark eut un petit sourire et arma son fusil. Hel n’eut qu’une seconde pour réfléchir à son plan d’action, mais cette seconde lui fut suffisante pour lâcher l’ex-Dieu-Roi et s’élancer sur le côté, se mettant à couvert derrière le mât où il récupéra son second couteau, laissant couler le sang du malheureux capitaine, dont le corps sans vie s’affaissa au sol.

Hel et Freya se lancèrent l'un sur l'autre au même moment ; le bruit de l'acier frappant l'acier résonna tout autour du bateau. Les coups d'épée furieux de Freya fusaient en tous sens, parés par les couteaux larges du mercenaire, dont la mobilité n'avait visiblement pas été atteinte par sa mésaventure sur Halsring. Les deux combattants restèrent au contact, chacun poussés l'un vers l'autre par la frénésie de la bataille ; Freya n'avait aucun envie de laisser à Hel l'occasion de refaire ce qu'il avait tenté au pied de Dole-Halsring.

Thorsfeld se releva douloureusement quand le combat se fut assez éloigné de lui pour qu'il soit sûr de pouvoir se cacher discrètement. Il surprit Ark en train de sauter sur une pile de tonneaux pour atteindre le palier supérieur du navire. D'une main, il tenait son fusil armé et prêt à tirer ; de l'autre, il donna une forte impulsion à la barre, qui tourna rapidement à droite avec un raclement de bois lisse. Le bateau fit une embardée qui le mit sur une trajectoire moins fournie en récifs. Le navire en sécurité, il balaya le ciel des yeux.

  • Qu'est-ce que tu fabriques ? lui cria Thorsfeld. Il y a là-bas quelqu'un qui aurait bien besoin d'un peu plus de plomb dans la peau !
  • Je cherche l'oiseau ! répondit Ark. Est-ce que tu le vois ?

Thorsfeld compris immédiatement. L'oiseau de Hel semblait revêtir une importance bien supérieure à celle que pouvait avoir un simple animal domestique ; il parlait pour lui, et semblait ne jamais être bien loin de son maître. Et puis, à Halsring, Hel avait eu un instant d'hésitation lorsqu'Ark avait failli abattre l'animal, ce qui avait permis à Freya de vaincre le mercenaire. Alors, où était ce foutu oiseau ?

  • Là-bas ! s'écria Thorsfeld en pointant du doigt une forme sombre indistincte qui tournoyait autour des mâts.

Une fois de plus, l'animal avait repris son manège consistant à survoler le champ de bataille sans perdre une miette de ce qui s'y déroulait ; il devait s'être senti repéré, car dès lors, il sembla éviter de se mettre à portée d'Ark, qui le chercha de la pointe de son fusil sans jamais trouver d'angle de tir correct.

En contrebas, le combat entre Hel et Freya s'intensifiait encore. Les coups s'échangeaient à un rythme effréné, sans qu'aucun des deux ne parvienne jamais à prendre l'avantage sur son adversaire. Finalement, la joute se déplaça près d'un des mâts, et les deux combattants tentèrent, chacun de leur côté, d'atteindre l'autre et évitant l'épais poteau de bois, qui constituait pour eux à la fois une nuisance et une couverture bienvenue. Un instant d'inattention de la part de Freya faillit bien lui être fatale, mais elle parvint à éviter une attaque dissimulée de Hel, son couteau ripant contre son brassard de cuir, lui entaillant le poignet et venant s'enfoncer profondément dans le bois du mât ; elle ne laissa rien paraitre sur son visage, mais lâcha Edelynenlassja dans un sursaut de surprise. L'épée tomba lourdement sur le plancher. Les tintements métalliques que firent l'arme n'avaient pas encore cessés quand Freya se tourna, le bras positionné en défense, et plaqua la seule main encore armée de Hel contre le pilier de bois. Le mercenaire ne se laissa pas déstabiliser par la perte de ses couteaux, et envoya un coup de genoux qui atteint Freya au ventre, l'envoyant rouler en arrière avec un grognement de douleur.

A cet instant, Hel cessa de s'intéresser à son adversaire, et se précipita vers Edelynenlassja qui gisait sur le pont loin de sa propriétaire. Il attrapa la garde de l'épée, et tira… mais rien ne vint. Il redoubla d'effort, mais toute sa force ne fut pas suffisante pour soulever l'arme de Freya.

  • Je me doutais qu'il t'aurait demandé de ramener Edelynenlassja, fit cette dernière en arrivant derrière lui. Mais apparemment, il ne sait pas que je suis la seule à pouvoir la soulever.

Sur ces mots, et avant que Hel ait eu le temps de se remettre en position de combat, elle envoya voler son pied en direction du casque cabossé du mercenaire, le décorant d'un impact supplémentaire. Hel fut projeté en arrière, mais se releva d'une pirouette au moment où Freya se lançait sur lui les poings en avant ; le combat se poursuivit à mains nues, sans pour autant perdre de son ardeur.

Ce fut le cas, du moins, jusqu'à ce que l'oiseau de Hel finisse par pénétrer dans la ligne de mire d'Ark. Le Prince de Nornfinn saisit l'occasion sans une hésitation ; avec une légère impulsion sur la base de son fusil, il plaça le canon dans l'alignement de son œil, et tira. Sur Hel. Du moins, ce fut Hel qui surgit parfaitement entre lui et sa cible, comme après avoir effectué un saut vertigineux à la verticale. Il fit un tour sur lui-même en l'air, et retomba avec grâce sur le pont, plusieurs mètres en contrebas, juste à côté de Freya qui semblait médusée face au saut impossible que son adversaire avait entrepris. Hel se redressa, ouvrit la paume de sa main et laissa tomber un plomb qui rebondit sur le sol avec un bruit étouffé. L'oiseau vint se poser sur la rambarde à proximité de son maître.

  • Tu ne peux pas gagner, lui lança Freya. Nous sommes trop nombreux. Je ne sais pas combien tu as été payé pour ce travail, mais quelle que soit cette somme, ça n'en vaut pas la peine.
  • Si je devais ôter la vie de chaque créature qui respire à Dromengard, ce travail serait tout de même grassement payé, répondit l'oiseau calmement.

Hel tendit les mains vers deux directions différentes, pointant ses couteaux qui étaient restés là où Freya les lui avaient fait lâcher. Ils purent voir les lames vibrer au loin, puis les couteaux prirent un élan surnaturel et se précipitèrent de leur propre chef vers Hel, fendant les airs jusqu'à ce qu'il les attrapes d'une main sûre. Ignorant les regards abasourdis de ses trois adversaires, il porta ses couteaux devant sa poitrine, et frappa les deux lames l’une contre l’autre.

Un bruit indescriptible en retentit, emplissant l'espace totalement, annihilant chaque autre son, s'imposant à leurs oreilles comme un flash l'aurait fait à leurs yeux. Le tintement se répandit en un instant qui sembla durer plusieurs minutes, puis le moment d'après…

…Dura réellement plusieurs minutes.

Hel rangea lentement ses couteaux à sa ceinture. Il fit quelques pas, passant entre des flocons de neige parfaitement figés en l’air, comme capturés dans un instantané temporel. Il dépassa Freya sans prêter attention à celle qui, quelques secondes plus tôt, l’attaquait sans relâche. Comme tout ce qui entourait le mercenaire, elle était maintenant figée dans une expression circonspecte parfaitement fixe. Le temps autour du mercenaire s’était purement et simplement arrêté.

Le bruit de ses pas résonnait dans l’atmosphère figée avec une intensité qu’il était le seul à pouvoir mesurer. Il s’approcha d’Edelynenlassja, qui reposait toujours sur le sol, et tenta une nouvelle fois de la soulever ; mais malgré le sort mystérieux qu’il avait lancé autour de lui, l’épée resta imperméable à sa force. Il décida alors de changer de priorité, et se dirigea vers Freya d’un pas décidé en sortant un de ses couteaux de son fourreau. Il tendit le bras avec une rigidité menaçante, s’approcha de la jeune fille totalement immobile, et leva son arme…

  • Désolé mon grand, mais elle est à moi ! cria Thorsfeld de l’autre bout du bateau.

Hel tourna la tête soudainement vers l’ex-Dieu-Roi. Il se tenait debout près de la barre, et tenait le fusil d’Ark braqué vers le mercenaire. Le propriétaire de l’arme était figé à côté de lui, les bras immobilisé dans la position du tireur ayant oublié son fusil. Il sauta sur le palier inférieur sans quitter Hel des yeux.

Pourquoi pouvait-il bouger ? Il n’en avait aucune idée. Tout avait été figé aux alentour du bateau ; l’Alfrost continuait à émettre sa fumée blanchâtre au loin, il le voyait, mais les flots entourant le bateau étaient immobiles, tout comme les flocons qui restaient en suspens au dessus du navire. Ark et Freya était comme statufiés, paralysés au milieu de leur mouvement. Mais lui avait été épargné. Et considérant les mouvements paniqués de Hel, lui-même ne pensait pas que quelqu’un pourrait résister à son enchantement. À sa décharge, il n’était probablement pas conscient de se trouver face au Dieu-Roi…

  • Quels sont tes pouvoirs ? lança Thorsfeld d’une voix impérieuse. Les Alyvs ne peuvent faire ce genre de choses !

Hel était tourné vers lui et avait sorti ses couteaux, mais paraissait aussi figé qu’Ark et Freya. Il semblait hésiter, sans savoir situer son interlocuteur. Thorsfeld le regarda un instant, et voyant l’immobilisme paniqué du mercenaire et son absence de réponse, il posa son regard sur l’oiseau, resté perché sur le bastingage du bateau. Et alors il comprit.

C’était évident : pour une raison ou une autre, l’oiseau remplaçait les sens de Hel, que son casque rendait inutiles ; il parlait à sa place, et voyait et entendait sans aucun doute à sa place, de la même façon. Or, l’oiseau ne semblait pas bénéficier de même traitement de faveur que l’ex-Dieu-Roi. Pour lui aussi, le temps s’était arrêté, laissant Hel aveugle et muet. Bien sûr, le mercenaire pouvait toujours agir contre des cibles incapable de réagir dont il connaissait la position, mais comment faire face à Thorsfeld qui avait gardé sa mobilité ?

  • Dis-moi ! tonna ce dernier en marchant vers Hel. À quoi sert l’oiseau ? Pourquoi je peux encore bouger, moi ? Explique-moi !

Mais le mercenaire resta muet.

  • Ça n’a aucun sens ! hurla Thorsfeld. C’est une insulte envers mes lois !

Hel tenta une attaque vers lui, mais il lui manquait toute l’adresse et la rapidité dont il avait fait preuve face à Freya. Il rata sa cible misérablement, comme incapable de se battre correctement. Thorsfeld appuya sur la gâchette, et avec un « BANG ! » retentissant, le fusil cracha son projectile, qu’Ark avait soigneusement chargé avant d’être pétrifié. Hel fut projeté en arrière par l’impact de la balle, qui le toucha à bout pourtant, dans la région du cœur. Le tir ne parut pas lui causer plus de dommage qu’un simple étourdissement, et il tenta rapidement de se remettre sur ses pieds, avec des gestes maladroits. Thorsfeld était arrivé à sa hauteur ; tenant le fusil par les deux mains, il leva l’arme au-dessus de sa tête, il l’abattit sur le casque déjà horriblement déformé du mercenaire. Il insuffla à ce coup toute la rage qu’il avait accumulée, toute la frustration créée par ses incompréhensions successives. Hel était la goutte qui faisait déborder le vase. Sa tête prit un angle improbable lorsqu'il heurta le sol avec violence, s’affalant avec un sursaut désarticulé.

Mais ce n’était pas encore assez. Avec des gestes encore ralentis et de moins en moins maîtrisé, il tenta de se relever, une fois de plus.

Thorsfeld considéra le fusil d’Ark. Sa force de persuasion était largement réduite par la cassure nette qui était apparue à son centre, transformant l’arme à feu redoutable en deux morceaux de bois et de métal nettement moins menaçants. Son regard se porta sur une lanterne de verre cerclé d’acier, attachée au mât près de lui. Il s’en saisit d’un geste rageur.

  • Vas-tu… finir… par… MOURIR ?

Et de toutes ses forces, il fracassa la lanterne sur le dos de Hel, brisant l’objet dans un bruit de verre cassé. L’huile qu’il contenait imbiba en un instant les vêtements du mercenaire, qui prirent feu ; Thorsfeld eut juste le temps de se reculer, le bras crispé par l’effort, avant que le brasier naissant n’atteigne ses propres habits.

Le corps de Hel fut agité d’un spasme alors qu’il se recroquevillait sous les flammes. Le feu prenait de l’ampleur, alors que ses vêtements secs s’embrasaient plus vite qu’il n’aurait pu les éteindre. Déjà, le feu se propageait sur le bois du pont et du bastingage. Et soudain, le sort fut levé ; Freya et Ark furent de nouveau plongé dans la réalité. Un instant d’incompréhension s’imprima sur leurs visages, alors que sous leurs yeux, Hel passait sans transition de l’état de mercenaire debout et armé à celui de boule de feu affaissée au sol.

  • Qu’est-ce que… Qu’est-ce qui s’est passé ? lança Freya en direction de Thorsfeld, la voix emplie d’une circonspection excusable, étant donnée la situation.
  • Je n’en sais rien ! cria Thorsfeld. Il a comme… arrêté le temps ou je ne sais quoi, mais ça ne m’a pas atteint, alors…
  • Attention !

Freya avait poussé ce cri d’avertissement. Car dans le dos de Thorsfeld, le mercenaire, entouré par les flammes qui dévoraient sa silhouette et noircissait le cuir de ses vêtements, se dressait de nouveau, comme insensible au brasier qui emplissait l’air autour de lui. Il esquissa un geste menaçant en faisant un pas vers Thorsfeld, un mouvement dans lequel se dessinait une faiblesse extrême, monopolisant la moindre force enfouie qui ne l’avait pas encore abandonné.

Freya se jeta en avant, bousculant un Thorsfeld estomaqué au passage, et se jeta dans les flammes qui se répandaient sur le pont. Elle se jeta sur Hel et l’attrapa au col, ou du moins à ce qui restait de son armure de cuir. La chaleur intense du feu lui tira une grimace de douleur alors que ses doigts se fermaient en une prise ferme sur la cote de maille chauffée à blanc du mercenaire.

  • Quand tu rencontreras Edelyn dans l’autre monde, hurla-t-elle, le visage déformé par la douleur et la colère, explique-lui bien quelle bonne affaire tu as fait en acceptant cette mission !

Et ces derniers mots énoncés, elle se pencha en avant vers la rambarde, et fit basculer violemment le corps de Hel par-dessus son épaule. Dans un ultime mouvement désespéré, le mercenaire fut projeté par-dessus bord, suivi par des flots de feu qui plongèrent avec lui vers les profondeurs de la mer d’Alfrost. Il ne fit aucun bruit en disparaissant dans les vapeurs sombres où s’enfonçait la coque du bateau ; mais à un instant il était en suspens entouré de la lueur orangée des flammes, et l’instant d’après tout avait disparu, recouvert par les volutes impénétrables de l’Alfrost. Les flots se refermèrent, emprisonnant le mystérieux mercenaire dans leur prison de glace éternelle.

Freya sortit des flammes, les mains enveloppées dans sa cape pour étouffer les flammes qui s’étaient emparées d’elle. Ses jambes faillirent flancher, et elle s’appuya sur le bastingage pour reprendre son souffle. Tous les marins que le bateau contenait s’étaient rassemblés sur le pont ; même un sourd aurait été alerté par le boucan que le combat avait généré. Ark s’approcha d’elle, le visage inquiet.

  • L’oiseau ! cria Freya sans le laisser l’atteindre. Il faut l’abattre !

Et pointa un point noir rétrécissant à l’horizon, d’un doigt que la morsure des flammes avait laissé cramoisi. Les sens d’Ark furent sortis de leur torpeur, et ses yeux balayèrent son entourage à la recherche de son fusil. Thorsfeld apparut derrière lui, lui posa entre les mains les morceaux brisés de son arme, pendant lamentablement sur les pièces métalliques que le choc avait tordues. L’ex-Dieu-Roi s’éloigna rapidement avec un air innocent, laissait Ark contempler avec des yeux ronds ce qui était autrefois un fusil. Freya regarda l’oiseau disparaitre au loin avec un soupir.

  • Et voila, fit-elle d’une voix faible. On ne saura jamais ce qu’il était.
  • Bah, fit Thorsfeld. L’oiseau était seulement ses yeux et sa voix. Il est mort, cette fois, il n’y a aucun doute à avoir. Personne ne peut survivre à l’Alfrost. Nous sommes tranquilles.
  • Je me vois contraint de nuancer ce jugement, fit Ark.

Deux paires d’yeux se tournèrent vers lui. Dans son dos, les flammes, bien loin de s’éteindre, étaient en train de dévorer l’arrière du bateau avec une vitesse croissante, dessinant avec une netteté funeste les silhouettes des marins en train de courir en tout sens.

  • Il va nous falloir de l’eau ! s’écria Thorsfeld avec de grands yeux. Heureusement que nous sommes en mer, nous ne devrions pas en manqu…

Il regarda l’Alfrost qui les entourait.

  • Oh.

Le soleil arrosait timidement le rivage d’Olhanhel de ses rayons matinaux, éclairant les bâtiments de la ville de la lumière bleutée de l’aurore, et le grand bâtiment entouré d’Alfrost qui ornait le quai de la ville en recevait une portion raisonnable.

À l’intérieur, le gérant du bureau du bac triait des papiers, bien assis sur sa chaise. La journée s’annonçait calme, si on excluait le bateau qu’il avait envoyé la veille vers Halsring, et qui devait, si tout se passait bien, revenir incessamment.

Il entendit une clameur à l’extérieur ; par curiosité, il passa la tête dans l’encadrement de la fenêtre de son bureau, et put observer en contrebas un attroupement de gens amassé sur le quai, en train d’observer d’un air catastrophé un point de la mer d’Alfrost que le bâtiment lui cachait. Il poussa son investigation à l’extérieur, et dès qu’il passa la porte, il vit à son tour ce que la petite foule qui l’entourait suivait des yeux depuis plusieurs minutes.

Étais-ce une boule de feu qui se dirigeait vers le quai ? Une boule de feu immense qui s’approchait lentement, comme flottant à la surface de l’Alfrost ? Non, à bien y regarder, c’était un bateau. Un bateau entouré par les flammes, sa silhouette amputée d’une bonne partie de l’embarcation et de tous ses mâts. Le brasier flottant s’enfonçait, petit à petit. Il finit par arriver assez près du quai pour que tous puissent voir qu’une douzaine de silhouettes humaines s’était amassée à l’avant du navire, seule zone que les flammes n’avaient pas encore dévorée. Le bateau en feu coulait peu à peu ; lorsqu’il arriva à hauteur du quai, ses passagers paniqués eurent tout juste le temps de sauter à terre avant que leur embarcation ne sombre entièrement, avalée par les flots d’Alfrost.

La catastrophe disparut aussi soudainement qu’elle était apparu ; la brume blanche ne laissa bientôt plus rien paraitre du navire qui avait sombré, ne laissant derrière elle que des monceaux de fumée noire qui s’éloigna dans le ciel, et une dizaine de marins choqué et noirs de suie, dont émanait une vague odeur de viande fumée.

Parmi les victimes du naufrage, trois personnes ne s’attardèrent pas une seule seconde parmi les foules qui s’était formée sur le quai. Une jeune fille aux cheveux blancs que la fumée avaient légèrement grisés, un jeune homme aux cheveux noirs qui semblait essayer à tout prix de garder une contenance par rapport à ce qui venait de lui arriver, et un homme noir particulièrement grand affichant un air vaguement amusé.

Le trio ne regarda pas une seule fois en arrière, et s’engagea d’un pas décidé vers la ville.

Précédent

2 commentaires

Suivant