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Chapitre 32
Le tour des puissants

La grande salle de réception du palais donnait l'image d'une ruche bourdonnante d'activité. Une trentaine d'hôtes y étaient installés sur des tables en carré, et les plats étaient apportés par une horde de serviteurs à un rythme effréné. Les repas de l'Empereur étaient rarement solitaires, et une invitation à s'asseoir à sa table était un honneur ardemment disputé parmi les puissants de l'Empire. Samahl Enerland siégeait au centre de la table principale, surélevée par une estrade. À ses côtés étaient assis Freya, Elska Hyaland, Illian Letland, Elocke Ahland, ainsi que divers autre visages sur lesquels Freya ne pouvait mettre un nom. Slen Aarland, pour sa part, avait préféré abandonner la proximité immédiate de l'Empereur, laissant sa place habituelle à Freya et s'exilant en bout de table. Au milieu des convives, un orchestre de harpes et de tambourins offraient au repas une ambiance paisible. Un observateur peu au fait des affaires actuelles de la capitale n'aurait pas cru, à voir la salle de réception, que la ville était assiégée par une horde de monstres sanguinaires.

L'Empereur parlait peu, et mangeait moins encore. Il ne semblait toucher aux plats que par politesse. Freya avait la sensation que le repas et le brouhaha émanant de la salle bondée incommodait profondément le maître de l'Empire. Pour sa part, elle était affamée, mais la proximité de Samahl Enerland lui dictait la retenue. Elska s'était excusée peu après le début du repas ; sa constitution fragile avait habitué son entourage à des malaises et des vertiges, et les prêtres d'Edelyn qui l'accompagnaient avaient sauté sur l'occasion de faire preuve de leur zèle en la raccompagnant à sa chambre.

Comme l'Empereur le lui avait demandé, Freya lui avait fait le récit de son périple depuis Absenhel. Un récit très édulcoré, semblable à celui qu'elle avait servi à ses camarades de la Garde Impériale lors de leur voyage parmi les réfugiés. Enerland n'avait répondu que par un regard appuyé lorsqu'elle avait narré l'attaque du dragon à Absenhel, et la façon dont elle l'avait vaincu. Elle avait décidé d'insister particulièrement sur les parties du récit où elle n'avait pas à dissimuler la présence de Thorsfeld et Ark, et celle-ci en faisait partie. Elle avait ensuite expliqué à l'Empereur comment elle avait découvert qu'elle était recherchée lorsque des mercenaires l'avaient attaquée, et pourquoi elle avait décidé de se réfugier à Dole-Halsring en attendant que la prime soit levée ; une explication qui lui semblait tenir la route.

  • Une erreur qui aurait pu avoir des conséquences tragiques, observa l'Empereur. Slen m'avait raconté cette attaque de dragon, et crois bien qu'à ce moment, cet évènement nous a tous estomaqué ; un dragon, si loin de Nornfinn ? Enfin, toujours est-il que cette histoire de prime, je n'en ai pas eu vent. Je ne savais même pas que la Guilde Écarlate pouvait commettre de telles bourdes. Je lui en toucherai deux mots.
  • C'est du passé, maintenant, répondit Freya en faignant l'indifférence. Le Temple a réglé l'affaire.

L'empereur acquiesça, l'air grave. Les servants étaient en train d'amener des bols d'utternyl, sorte de consommé de châtaigne et de viande salée, traditionnellement bouilli au moins six fois avec de la graisse d'oie et de la cannelle. Cette préparation riche avait la cote auprès des paysans soucieux de se préserver du froid lorsque ce dernier se faisait plus mordant qu'à l'accoutumée ; les paysans avaient cependant rarement l'occasion de l'agrémenter de ces boulettes de viandes que les servants amenaient, disposés en hautes pyramides sur des plats en or, ni de cette sauce au miel et aux épices dont les cuistots de Dolenhel avaient le secret. Enerland goutta à peine au bouillon, et ne toucha pas à la viande ; Freya, pour sa part, remplit son bol de boulettes jusqu'à la limite du débordement. Elle continua son histoire.

Pas plus de réaction de la part de l'Empereur lorsqu'elle quitta Dole-Halsring et prit le bateau en direction d'Olhanhel. Il parut néanmoins plus intéressé lorsque Hel réapparut dans l'histoire ; selon le récit de Freya, elle en vint à bout seule, puisqu'officiellement, Ark et Thorsfeld ne l'accompagnaient pas. Puis il y eut la caravane de réfugiés. Puis le voyage vers Dolenhel. Puis les Ombergeists, et le reste. Mais cette partie, l'Empereur la connaissait déjà en détail.

À ce moment du repas, les tables avaient été débarrassée, et de l’ettäl, fromage brun et mou au goût légèrement sucré, avait été servi en tranches fines sur des morceaux de pain grillé, pour faire la transition entre les plats principaux et le dessert.

Pendant tout son récit, Freya avait dû combattre son envie de reporter son attention sur deux choses : son assiette, d'une part, et Slen Aarland, d'autre part. Elle avait observé le prêtre d'Addaltyn, qui déjeunait en silence à l'autre bout de la table. Il n’avait guère discuté avec ses voisins de table, et porté peu d'attention au contenu de son assiette. Cependant, il avait glissé des mots discrets à plusieurs prêtres d'Addaltyn, dont Freya avait aperçu les silhouettes chapeautées se glisser derrière son fauteuil, les uns après les autres. Si elle ne s'était pas trouvée si proche de Samahl Enerland, elle aurait demandé à Alrone ou Halek, qui encadraient toujours l'Empereur, d'aller discrètement se poster aux alentours de l'Alyv pour tenter de saisir des bribes de conversation. Avant même que n'arrive le dessert, deux prêtres entrèrent dans la salle comme plusieurs l'avaient fait avant eux, et glissèrent quelques mots dans l'oreille de leur chef, en résultat de quoi Aarland se leva et les suivit à l'extérieur. Il ne reparut pas de tout le repas. Freya ne put néanmoins pas garder le Grand Prêtre dans son esprit bien longtemps, car l'Empereur, qui n'avait visiblement pas remarqué la désertion de son conseiller, reprit la parole.

  • Tu sais, dit-il sur le ton de la confidence, Vaughan m'a paru ailleurs, pendant le temps où tu as été absente. Comme absorbé, plus qu'à l'accoutumé, et chaque jour un peu plus. Oh, tu sais comment il est, il déteste la vie à Dolenhel ; il a toujours été fait pour une vie nomade. Je le connais depuis plus d'années que tu n'en as vu passer depuis ta naissance, et je crois l'avoir plus souvent vu dormir avec les étoiles au-dessus de sa tête que sous un toit. Mais cette fois… Je crois que tu l'as inquiété.

Freya avala un morceau de fromage en regardant la place vide de Slen Aarland. Elle reporta son regard sur son voisin de table.

  • Nous nous sommes déjà expliqués, dit-elle en se remémorant la chaleur de la gifle qu'elle avait reçue un peu plus tôt.
  • Je pense qu'il comprend ce qui te pousse à ce genre d'excursion. Mais comprendre n'est pas excuser.
  • Qu'il comprend…? Que voulez-vous dire ?

L'Empereur se tenait plus droit dans son siège que précédemment. Il la regardait avec un léger sourire ; son œil valide était toujours emprisonné dans de la chair tombante et ridée, comme la cire fondue d'une bougie, mais il brillait d'une lueur intelligente, seule lumière rémanente de l'homme qu'il avait été.

  • Il comprend ce qui te pousse à t'isoler ainsi, et dans une certaine mesure, je le comprends aussi. N’interprète pas mes paroles de travers : nous n'avons pas la même histoire, toi et moi, et pourtant, j'y vois des similarités.
  • Quel genre de similarités ? demanda Freya en soulevant un sourcil.
  • Eh bien… Dis-moi, les souvenirs d'un vieux bonhomme poussiéreux ne risquent-ils pas de t'ennuyer ?

Freya se cala au fond de son siège, les mains serrées posées sur la table.

  • Va-t-on voir la fin de ce repas dans les minutes à venir ? demanda-t-elle.

Samahl Enerland laissa échapper un petit rire presque inaudible qui secoua ses épaules de petits sursauts.

  • Non, je ne crois pas, dit-il en souriant. Je crains qu'on ne voie passer encore une ou deux éternités avant le digestif.

Il s'avança dans son siège, attrapa sa coupe en argent qu'un serviteur avait rempli de vin chaud à l'orange, et but quelques gorgées de la boisson dont émanaient d'imperceptibles volutes de vapeur. Puis il prit la parole, en passant sa coupe d'une main à l'autre, frottant de sa paume l'argent brillant et soulignant de ses doigts les motifs sculptés dans le métal.

  • Il y a vingt-six ans de cela, le monde était encore séparé en six royaumes, commença-t-il. Je parle seulement du continent, bien sûr ; je vais me permettre de ne pas inclure dans le monde civilisé les îles de glaces, les terres dévastées de Hasseland et tous ces territoires qui n'ont pas vraiment d'importance, et n'en auront probablement jamais. Bref. Le plus petit royaume des six s'appelait Juenland ; la grandeur ne se mesure pas à la superficie d'une nation… Sauf dans le cas de Juenland. C’était le royaume le plus insignifiant des six : une masse de montagnes, de landes et de tourbières battues par la pluie, perdue entre les îles d'Alylyancë et le mastodonte qu'était Hindenland. Les légendes voulaient que ce royaume ait été fondé par Enerion lui-même pendant la grande époque des Cent Héros ; quelque chose me dit que le chef des Cents avait le dos tourné lorsque les territoires ont été partagés.

L'Empereur fit une pause, et en profita pour boire une nouvelle gorgée de vin. Freya n'avait pas arrêté de manger pour écouter le récit, d'autant que des poires et des prunes confites avaient été servies, dans des plats de plus d'un mètre de diamètre chacun. Elle pouvait voir que derrière le fauteuil de l'Empereur, Halek et Alrone écoutaient eux aussi. Halek avait réussi à attraper des fruits confits au passage.

  • En conséquence de cette origine prestigieuse, reprit l'Empereur, la famille royale de Juenland portait le patronyme d'Enerland. Le roi, Hollis Enerland, avait deux fils. Le premier, Altwin, était évidemment son héritier. Un jeune homme fort, charismatique et séduisant. Les hommes voulaient être lui, et leurs femmes pensaient à lui dans l'intimité de leur couche. L'archétype du prince héritier. Son frère était tout différent : pas bien fort ni très grand, et la peau pâle pour s'être trop longtemps dissimulé dans l'ombre de son aîné. J'étais ce frère.

Nouvelle gorgée de vin. Cette fois, Freya en était sûre, il laissait passer quelques secondes pour l'effet dramatique.

  • Dans ma jeunesse, j'étais l'homme le plus heureux du monde. La guerre, les armes, les conseils militaires et la vie de la cour ne m'intéressaient guère ; je préférais m'adonner à ma passion pour les livres, et à mes recherches. Un homme de naissance moins heureuse aurait vite abandonné ce genre de vie improductive ; pour ma part, j'étais fils de roi. J'avais la fortune, la puissance, la haute naissance et du temps à ne plus savoir quoi en faire, mais aucune des responsabilités qui sont généralement associées à ce train de vie. Les affaires du royaume étaient gérées au prix d'un investissement mineur de ma part, et c’est mon frère qui était destiné à accéder au trône. À la mort de mon père, c'est d'ailleurs ce qu'il a fait. À ce moment, tout allait pour le mieux, de mon côté. Les choses étaient telles qu'elles devaient être. Tout était à sa place, en ordre. Mon frère sur le trône, et moi, dévoué à ma vie d'érudit. On aurait eu du mal à me détourner de mon idéal ; Altwin a essayé, et à plusieurs reprises. Il me trouvait flemmard et mou. Il avait raison, je l'avoue sans détour. Pour me faire un peu plus ressembler à un prince de Juenland, il avait même engagé le meilleur maître d'arme qu'il avait pu trouver, dans l'espoir de m'inculquer l'art de l'épée. Vaughan pourra te faire mille récits moqueurs de ma réticence à son enseignement. Mais je m'égare.

L'Empereur se cala de nouveau au fond de son fauteuil. Il retrouva soudain son air affecté, ses yeux tombant et l'affaissement de ses épaules, et avec eux, dix ans de plus sur son visage. Lorsqu'il se remit à parler, sa voix était teintée des harmoniques du deuil.

  • J’étais plein d’admiration pour mon frère. J’étais aveuglé au point de ne pas m’apercevoir qu’Altwin était doté d’un égo bien trop monstrueux pour son propre bien. C’était couru d’avance ; un jour, sur un coup de colère, il a défié plus fort que lui. N’importe quel adversaire aurait retenu son bras, eut égard de son rang, mais pas celui-là. Et mon frère est mort de la façon la plus stupide et la plus misérable qui soit, en un instant, simplement parce qu’il avait mal supporté un affront. Et à ce moment, voilà le frère puîné propulsé au rang de roi. Bon sang, à cette époque, porter la ridicule petite couronne en argent de Juenland pendant une heure me donnait un torticolis. Peux-tu imaginer cela ?
  • Avec difficulté, répondit Freya. Je savais que vous étiez roi de Juenland avant la guerre d’unification, mais j’ignorais que vous aviez un frère aîné. Vaughan parlait peu de vous. Cependant… je vous prie d’excuser ma lenteur d’esprit, mais je ne vois pas où se trouve cette similitudes entre nos deux histoires.
  • Ne te blâme pas, car elle se trouve dans la suite. Mon frère décédé, j’étais donc devenu le roi de Juenland, un titre dont j’avais toujours été heureux d’être à l’abri. C’était donc désormais ma responsabilité que de diriger le royaume. Si les six royaumes devaient être unifiés un jour, ce ne serait pas par quelqu’un d’autre, mais bien par moi. J’avais le devoir de faire mon possible pour le bien des habitants de Juenland, et des générations futures de tout le continent. Aujourd’hui, sans me vanter, je dirais que c’est une réussite. Les six royaumes sont, arhem… – il détourna le regard pour appuyer le cas de Nornfinn – quasiment unis, le continent est en paix depuis vingt-cinq ans et Dromengard commence à se développer, à sortir de la torpeur que lui infligeaient ses divisions. Tout cela, je l’ai fait, mais par devoir, pas par envie. J’ai dû mettre de côté mes rêves d’oisiveté et de recherche des secrets des sciences et de l’esprit car j’ai été appelé par un destin dont je ne voulais pas, mais que je ne pouvais pas refuser. Les seuls moments où je peux m’approcher au mieux des rêves du jeune homme que j’étais, c’est lorsque je parcoure mes bibliothèque, et que je m’assois dans un fauteuil pour lire un livre ; mais ces livres, ce n’est pas moi qui les ai écrits, et je ressens un pincement au cœur à chaque fois que je réalise cela.

Il se tourna vers Freya. Son regard était empli d’une flamboyance que seuls ceux qui avaient connus Samahl Enerland jeune auraient pu reconnaitre.

  • Je crois – mais peut-être que je divague – que tu es dans un cas similaire. Toi, Freya, tu as transcendé ta condition pour devenir un symbole de rébellion et de vengeance. Tu as tué le Dieu-Roi, et tu es devenu un symbole dont les gens parleront encore dans un millier d’années, et maintenant, tu es à mes côtés. Tu as ma confiance. Quel chemin, pour en arriver là, n’est-ce pas ? Mais je ne crois pas que tu sois plus heureuse maintenant que lorsque tu parcourais le monde avec Vaughan et tes compagnons. Cela te pèse. Tu restes, parce que tu perçois cela comme étant ton devoir, et ça l’est ; tu es un symbole, et si tu retournais à ta vie plus simple, tu détruirais en grande partie l’influence bénéfique que tu as eue sur Dromengard. Alors tu t’accroches à ces moments où tu peux t’enfuir, même s’ils sont éphémères. Parce qu'ils sont tout ce qu’il te reste de ce que tu étais avant, et que c’est ce que tu aimes faire. Il a seulement fallu que tu en sois privée pour réaliser que c’était ce que tu cherchais depuis tout ce temps. Là où j’attrape un livre et ne réponds plus pendant des heures quand on frappe à ma porte, toi, tu prends un cheval et tu pars voyager pendant des jours. Tu vois ? Je comprends cela. Et c’est pour cela que je ne te blâme pas. Accroche-toi aux miettes de cette ancienne vie, avant qu’elles-mêmes ne disparaissent.

Samahl Enerland en avait fini de son long monologue. Son visage reprit instantanément le masque de lassitude qu’il arborait habituellement, et il s’affala de nouveau au fond de son fauteuil.

Freya ne savait pas quoi dire, ni même comment réagir. Elle avait cessé de manger plusieurs minutes auparavant, obnubilée par le discours de l’Empereur. C’était la première fois qu’il se confiait ainsi à elle ; pendant les années qui avaient précédées cet instant, ils n’avaient échangés que des conversations qui semblaient creuses et vides de sens en comparaison. Mais ce qui choquait la jeune fille, c’était l’exactitude avec laquelle le vieil Empereur avait saisi ses propres sentiments, qu’elle-même avait du mal à mettre en forme dans son esprit. Tout ce qu’il avait dit était exact, et elle se sentait en même temps gênée et rassurée que Samahl Enerland lui-même puisse partager ses maux inexprimés. Elle savait l’Empereur intelligent ; un homme capable de conquérir le monde en quelques années ne pouvait que l’être. Mais elle le découvrait aussi fin psychologue. À ce moment, elle ne put s’empêcher de penser à Ark, qui s’était livré au même exercice à Dole-Halsring. Si lui et l’Empereur n’étaient pas ennemis, nuls doutes qu’ils sauraient se trouver de fortes affinités.

  • Vaughan sait tout cela, lui aussi, continua Enerland avec une voix qui s’était faite rauque et fatiguée. Pourquoi crois-tu qu’il m’a abandonné une fois que j’avais les fesses posées sur le trône, pour créer un groupe de mercenaires itinérants ? Il déteste la vie posée et bien réglée d’un général des armées. Il ne le fait que par devoir, parce que l’Empire a besoin de lui. Il te comprend aussi bien que moi. Seulement, c’est son travail que de te taper sur les doigts lorsque tu t’égares.
  • Ça, je le sais, dit Freya. Qu’il n’est pas à son aise à Dolenhel. Il me le disait souvent. De fait, je dois vous avouer que nous avons souvent fait d’énormes détours, avec les Dix, pour éviter vos armées. Pour vous éviter vous, de fait.
  • Eh eh, ricana l’Empereur en finissant sa coupe de vin. Je savais cela. Combien de fois me suis-je rendu là où vous campiez, pour trouver seulement les traces de vos tentes ? Moi et mes meilleurs traqueurs ne faisions par le poids contre Vaughan. Ah, ça… Oui. Je me demande…

Il regardait en l’air avec des yeux rêveur, sa coupe vide se balançant entre ses doigts.

  • Je me demande pourquoi le destin se rit de nous ainsi. Sommes-nous vraiment libres de nos actes, comme je le pensais comme j’étais jeune, ou bien obéissons-nous simplement à un scénario écrit à l’origine des temps sur le parchemin infini d’Addaltyn ? Plus je vieillis, plus je me fie à ce que Slen croit. L’âge me rend pieux. Bah, j’imagine que nous ne le saurons jamais. Cela restera un de ces mystères dont j’ai essayé en vain d’obtenir des réponses quand mon frère était encore vivant. J’avais reçu une formation de nécromancien pour comprendre les tenants et aboutissants des Alyvs, mais je ne l’ai jamais terminée. J’avais étudié les svillingstrads pour découvrir ce qui les rendait aussi funeste ; j’ai pu observer le résultat, mais pas la cause. J’aurais aussi aimé visiter Dole-Halsring. Quand j’étais jeune, je crevais d’envie de savoir jusqu’où elle allait. Sur ce point, d’ailleurs, peut-être pourras-tu me renseigner ?
  • Vous voulez savoir jusqu’où monte Dole-Halsring ?
  • Oui. As-tu essayé d’aller jusqu’en haut ? Qu’as-tu rencontré ?
  • Je suis désolée, mais je n’ai pas tenté cela. Je n’ai malheureusement pas votre curiosité. Le tour du Dieu-Roi atteint probablement le soleil ; si c’est le cas, son extrémité doit être chauffée au point de la rendre invivable.
  • Hm. Oui. Oui, en effet, probablement. Tant pis pour moi.
  • Je pourrais vérifier cela pour vous si j’y retourne. Je tenterai l’ascension.
  • Ah, dit l’Empereur. Dans ce cas, tu devrais partir de suite, sans quoi tu n’auras peut-être jamais l’occasion de me faire ton rapport.

Freya laissa glisser cette remarque de l’Empereur sans dire un mot. Avait-elle mal comprit, ou est-ce que Samahl Enerland avait émis des doutes sur sa propre espérance de vie ? Craignait-il quelque chose, comme cette maladie qui semblait le ronger jour après jour ? Se savait-il mourant ? Elle n’en eut pas la confirmation, car à part quelques politesses sans importance, ce furent les derniers mots qu’ils échangèrent lors du repas. Le dessert remporté, l’Empereur se leva, aidé par Alrone, et quitta la table avec une tape affectueuse sur l’épaule de Freya, puis il quitta le grande salle de réception, qui se vida rapidement de ses occupants, laissant la place à l’armée de serviteurs qui devrait rendre à l’endroit le lustre qu’il possédait quelques heures auparavant, en vue du dîner. En escortant l’Empereur, Alrone se contenta d’un coup d’œil furtif en direction de Freya, qui comprit alors qu’elle aussi avait saisi le message de l’Empereur.

Se pouvait-il qu’il ait essayé discrètement de la prévenir de quelque chose ?

La passerelle était un couloir suspendu reliant deux tours, un passage entre ciel et terre comme le palais impérial en comptait tant. En la traversant, Freya pouvait apercevoir la ville en contrebas ; les grandes arches étaient ouvertes sur l'extérieur, et un vent léger s'y engouffrait, emportant avec lui de la neige égarée qui s'échouait entre sol et mur en de minuscules pâtés blanchâtres. De cette plateforme, la ville était trop loin pour qu'elle puisse distinguer l'activité dans ses rues, mais elle imaginait une effervescence plus frénétique encore qu'à l'accoutumée : dans deux jours commencerait le jubilé de l'Empereur, et la ville se préparait, confectionnant les plats traditionnels, accrochant des banderoles et des lampions, et façonnant les désormais omniprésentes torches bleues. C'était cette ambiance active et festive que les dirigeants de Dolenhel voulaient préserver, espérant – peut-être à tort – qu'elle pourrait éclipser la terrifiante menace des Ombergeists.

Freya n'avait guère attendu après la fin du repas pour se diriger en direction des appartements d'Elska Hyaland. Contrairement à Slen Aarland, la grande prêtresse d'Edelyn logeait au palais Impérial depuis qu'elle avait été élevée à la tête de son temple. Freya s'y rendait dans l'espoir de récolter auprès d'Elska des informations sur l'Église du Printemps ; si ce mouvement religieux rassemblait en effet les cultes d'Edelyn et d'Addaltyn, alors Elska en faisait probablement partie. Peut-être même aurait-elle des informations sur Slen Aarland ? Elska était la personne la plus impliquée dans les milieux religieux avec qui Freya était en bon termes. Elle pourrait l'aider. Et même si ce n'était pas le cas, une visite à Elska était une occasion que peu auraient laissé passer.

  • Eh. Freya.

La voix de Levi l'interpela. Elle tourna la tête ; il était assis sur sa gauche, appuyé au bord d'une grande arche, le dos contre une colonne de marbre. Il ne portait pas sa tenue ébène et écarlate de la Garde Impériale, mais la cape blanche aux reflets bleutés qu'il revêtait lorsqu'il voulait passer inaperçu. Son visage était en partie dissimulé par sa capuche. Freya le savait, cet accoutrement lui rendait les contacts sociaux plus aisés ; pour le chasseur de prime solitaire, les habitudes avaient la vie dure.

  • Levi, dit Freya avec une voix dénuée de surprise. Java n'est pas avec toi ?
  • Il ne voulait pas remonter de la ville souterraine. Je l'ai laissé là-bas ; il reviendra lorsqu'il sera décidé.
  • Il va encore effrayer les fermiers.

Le tigre blanc de Levi avait souvent provoqué la peur lors de ses déambulations loin de son maître, auparavant ; mais depuis la création de la Garde Impériale, les habitants de Dolenhel avaient eu le temps de s'habituer à la présence de l'animal. Aussi Levi se contenta-t-il de hausser les épaules.

  • J'ai un peu trainé aux alentours du temple d'Addaltyn, ce matin, dit-il.
  • Si les complots d'Aarland se déroulent là-bas, j'ai du mal à croire que tu pourras observer quoi que ce soit de l'extérieur.
  • Je ne suis… pas vraiment resté à l'extérieur, avoua Levi avec un léger sourire. Mais rien n'a l'air anormal là-bas. J'y suis allé parce que j'ai cru repérer quelqu'un sur les toits hier soir, juste après l'arrivée de la caravane. J'ai seulement eu le temps de le voir du coin de l'œil, mais j'aurais juré que c'était un homme en noir, avec un chapeau. Java l'a repéré aussi.
  • Un prêtre ?
  • Peut-être. Je ne l'ai pas retrouvé. Ces derniers temps, j'ai sans arrêt l'impression de sentir des mouvements dans la ville. Comme si des gens s'y déplaçaient en cherchant à ne pas être vus. Ce n'est qu'une impression, mais ça s'est produit à plusieurs reprises. Les choses ne s'arrangent pas depuis que tu nous as fait part de ta théorie de complot.
  • D'accord. Tu crois pouvoir continuer à enquêter là-dessus ? C'est une piste non-négligeable, et si tu as du mal à repérer ces ombres, personne ne pourra les débusquer.
  • Je dois prendre mon tour dans l'escorte d'Enerland cet après-midi.
  • Klov prendra ta place. Garde ta cape et essaie d'être plus furtif que ceux que tu chasses ; c'est à leur tour d'avoir la sensation d'être suivis.
  • Compris.

Levi laissa retomber sa capuche sur ses épaules, laissant apparaitre des cheveux longs d'un noir profond encadrant un visage aux traits harmonieux, seulement troublés par une barbe naissante et une cicatrice qui avait laissé un trou visible sur son sourcil gauche. Levironos Eeland avait autrefois été le numéro un de la liste écarlate ; à l'époque cependant, il n'avait pas encore vingt ans. Aussi, malgré son expérience en tant que rôdeur et mercenaire, il était encore jeune, la trentaine tout au plus.

  • J'ai aperçu Slen Aarland quittant le château tout à l'heure, continua-t-il. Il était suivi d'une armée de prêtre.
  • En effet, il a quitté le repas en avance, avança Freya. Où s'est-il rendu ?
  • Rien d'extraordinaire. Au temple. Il n'y est pas resté dix minutes avant de retourner au palais. Je l'ai suivi jusqu'à ses appartements. Je crois qu'il y est encore.
  • Parfait. Je vais voir Elska, puis j'irai lui dire deux mots. Il est temps que lui et moi ayons une conversation en tête-à-tête.
  • Lui et toi, seuls ? Je vais t'accompagner.
  • Inutile. Retourne en ville et consacre-toi à ta mission. Il en faudra plus que cette vieille momie pour me menacer, sois tranquille. De toute façon, je sais que tu veux surtout rendre visite à Elska avec moi.

Levi eut une légère toux un peu trop prononcée.

  • Tu te méprends, lança-t-il, visiblement sur la défensive. Eh bien d'accord, j'y vais. Je vais déjà tenter de retrouver Java. Bon courage.
  • Merci, dit-elle en le regardant se retourner, tirer sa capuche de nouveau sur son visage et s'éloigner dans le couloir ; ses pas étaient totalement silencieux.

Elle ne resta pas sur place longtemps, et reprit sa marche. Elle devait avoir des discussions avec les deux personnes les plus influentes des milieux religieux ; l'une d'elle était une amie, l'autre était un ennemi mortel – chaque heure qui passait le confirmait un peu plus. Mais ces entrevues avaient toutes deux une importance capitale.

Freya fut introduite dans les appartements d’Elska Hyaland par un prêtre d’Edelyn. L’homme avait le visage rond et ses quelques kilos en trop étaient le signe d’un travail administratif. Comme tous les prêtres de son Église, il était pieds nus et dans sa chevelure grise s’entremêlaient des mèches éparses teintes en orange.

Il amena Freya jusqu’à une salle large, qui mimiquait à la perfection les influences des temples d’Edelyn ; contrairement à ces derniers, la pièce avait un plafond, mais elle n’en était pas moins remplie de plantes et d’arbres qui poussaient librement et envahissaient murs et colonnes. C’était comme si un bloc de paysage extérieur avait été transposé à l’intérieur du palais. Le sol était en grande partie constitué de pierres rondes et lisses serrées, entre lesquelles une eau claire coulait paisiblement. De cet endroit émanait une sérénité totale.

Elska était assise en tailleur sur la plus grosse pierre au centre de la salle, entourée de rouleaux de parchemins déroulés et de prêtres qui affectaient la même position qu’elle, yeux fermés, sur les pierres adjacentes. La cérémonie de prières se déroulait dans un silence serein, seulement troublé par le clapotis de l’eau et les pas feutrés de quelques prêtres affairés à entretenir les plantes et à transvaser l’eau dans des seaux en bois.

Elle finit par ouvrir doucement les yeux, et remarqua sa visiteuse.

  • Freya ! lança-t-elle d’un ton enjoué. Quelle merveilleuse surprise. Rejoins-moi, je t’en prie.

Freya avança précautionneusement sur les pierres pour atteindre le centre du bassin. Son arrivée dut être interprétée comme la fin de la séance de méditation, car tous les fidèles d’Edelyn qui entouraient Elska se levèrent et quittèrent le bassin les uns après les autres. La jeune prêtresse portait la même tenue que lors du repas qu’elle avait quitté prématurément, constituée d’une robe courte multicolore ornée de rubans dont la plupart trempaient dans l'eau, d’un justaucorps sombre et de manches larges qui dissimulaient ses mains. Le noir de ses cheveux courts était entrecoupé de saillies rousses qui contrastaient avec la blancheur de sa peau. Freya savait qu’Elska avait vingt-deux ans, mais elle paraissait en avoir seize.

  • Ça va mieux que tout à l’heure ? demanda Freya en s’asseyant sur une pierre lisse, prenant soin de ne pas mouiller ses bottes.
  • Pour… ? Ah,  oui, en effet, répondit Elska. C’est un peu impoli de s’éclipser ainsi, je sais, mais toute cette foule, ce bruit… C’est plus que je ne peux en supporter.
  • L’Empereur ne t’en voudrait probablement pas si tu délaissais sa table pour prendre tes repas dans le calme.
  • Probablement pas… Mais là est ma place. Parfois j’aimerais être née plus forte… Peut-être pas autant que toi, mais un peu plus, ça ne ferais pas de mal.

Freya laissa passer quelques secondes de silence, se laissant pénétrer par la sérénité des appartements d’Elska. S’il n’y avait le plafond et les arches ouvertes typiques du palais impérial, elle se serait crue au temple d’Edelyn.

  • Dis-moi, commença Freya, j’ai entendu parler de ce mouvement… L’Église du Printemps, si je me souviens bien. En fais-tu partie ?
  • Le Printemps ? répondit Elska – elle avait commencé à attraper ses rouleau et à les réenrouler sur eux-mêmes. Non. Enfin, oui, je connais, bien sûr. Mais je n’en fais pas partie.
  • Pourquoi ? À ce qu’on m’a dit, elle rassemble les cultes d’Edelyn et d’Addaltyn.
  • En effet, mais tout le clergé n’en fait pas partie pour autant. Est-ce que… Est-ce que c’est du sang ?

Elle pointait la hanche de Freya. Une tâche écarlate sur le tissus de sa tunique la fit sursauter ; sa blessure de la veille, pansée à la hâte le matin-même, s’était visiblement rouverte.

  • Ah, fit Freya avec une légère grimace. Oui. J’ai été blessée hier lorsqu’on… lorsque nous avons été attaqués par les Ombergeists. Ne t’en fais pas pour ça, je regarderai plus tard.

Elska lui lança un regard scandalisé.

  • Non, lui lança-t-elle. Non, non, non. Je vais regarder ça tout de suite. Tu aurais dû passer au temple dès hier soir ! C’est très imprudent.
  • Je t’assure que…

La grande prêtresse leva un doigt autoritaire qui la réduisit au silence. D’un signe de l’autre main, elle envoya un de ses prêtres chercher le nécessaire médical. Dans les grandes villes de l’Empire, les temples d’Edelyn tenaient lieu d’hôpitaux, et de ce fait, beaucoup de prêtres de la déesse avaient des connaissances en médecine. Elska, malgré son âge et son rang, ne faisait pas exception.

  • Donc, comme je disais, continua-t-elle en attendant que Freya ait déboutonné sa tunique, je ne fais pas partie de l’Église du Printemps. Je crois que Slen Aarland en est, néanmoins. Ce n’est pas quelque chose d’aussi publique qu’on pourrait le croire.
  • Est-ce parce que les livres d’Edelyn et d’Addaltyn interdisent de lier les deux Églises ?
  • Déconseillent de le faire. Les livres dictent des codes de conduite, pas des lois. Mais oui, il y a de ça. C’est contraire à mes croyances ; on pourrait croire que c’est la même chose pour les autres religieux, mais visiblement non. Et c’est un autre frein que je trouve : négliger cette partie des livres implique que certains de ses enseignements sont d’importance supérieure aux autres. Or, ce n’est pas à nous, simples humains, d’en juger.
  • Tu dis qu’il y a de ça. Il y a une autre raison ?
  • Eh bien, disons que je suis contre le principe. Le concept de l'Église du printemps, c’est que c’est un groupe religieux dirigé par Edelyn et Addaltyn.
  • En personne ?
  • Oui. Et c’est ridicule. Les Dieux se fichent de la façon dont les cultes sont organisés. Si la couleur des tentures et la forme des chapeaux avaient de l’apparence pour eux, ils ne seraient plus des Dieux. Ce sont là des considérations d’humains. Donc dès le départ, je désapprouve ce genre d'idées. De façon plus générale, je ne vois pas l’intérêt de ce mouvement ; ce n’est pas une amélioration des cultes. Slen m’avait proposé de les rejoindre, et il n’a pas insisté lorsque j’ai refusé. J’ai assez à faire ; s’ils veulent honorer les Dieux ensemble, je ne suis pas contre, mais l’idée ne m’intéresse pas.

Elle s’était accroupie près de Freya, qui était toujours assise en tailleur sur une pierre, le ventre à nu.

  • Ooh ! s’écria-t-elle en voyant la blessure de Freya, avant de placer à la hâte la main devant sa bouche avec pudeur. Cette estafilade aurait dû être soignée juste après la bataille ! Je ne vous félicite pas, jeune fille. Ce n’est pas parce que tu as été trop coriace pour le Dieu-Roi que tu ne peux pas mourir d’une infection ! Tu y as pensé ?
  • Oui. Désolé.
  • Bon.

Elle entreprit de nettoyer la blessure avec un linge humide. Elle appliqua une compresse imbibée d’alcool de pin. Freya ne broncha pas.

  • La disparition de Thorsfeld a eu un impact considérable dans les milieux religieux, tu t’en doutes, reprit Elska. Elle a offert un nouveau souffle aux Églises, et surtout à celle d’Edelyn. Je venais seulement de prononcer mes vœux au Colloque de Dromengard lorsque tu as tué le Dieu-Roi. Je me souviens qu’avant cela, nos effectifs étaient moindres. Beaucoup se sont senti poussés par une foi nouvelle ; je ne suis pas celle qui dénigreras ce souffle de spiritualité, Edelyn m’en garde, mais les années qui ont suivies ont été riches en conversions et en recrudescence des pires excentricités.
  • Et c’est ce que tu penses de l’Église du Printemps ? Que c’est une excentricité de plus ?
  • Si c’en est une, c’est la reine des excentricités, dit Elska en appliquant un baume sous les côtes de Freya. À ce que je sais, c’est un mouvement très développé. Ils ont des membres un peu partout, et comme je te le disais, même le Grand Prêtre d’Addaltyn en fait partie. Ils ont des moyens. Ce sont eux qui ont organisé l’accueil est réfugiés que tu as escorté hier, par exemple. Je vois leur symbole un peu partout, depuis quelques temps ; tu l’as peut-être aperçu, c’est un mélange de la Spirale d’Edelyn et de l’Étoile d’Addaltyn, avec une croix d'or bordée d’argent, sur fond noir.
  • Non, je ne l’ai jamais vu.
  • Il y a sans arrêt des chariots d'approvisionnement avec leur symbole qui cheminent en ville. J'en croise régulièrement lorsque je me promène. Mais dis-moi, pourquoi veux-tu savoir tout cela sur le Printemps ? Je ne crois pas être la plus à même de te renseigner.
  • Oh, sans raison particulière, mentit Freya. Simplement… de la curiosité. Je dois aller voir Slen Aarland, dans tous les cas.

Elska acheva de panser la blessure de Freya avec un bandage en jute qu’elle enroula autour de sa taille. Elle se releva et regarda son ouvrage d’un air satisfait. Freya reboutonna sa tunique.

  • Tu devrais venir plus souvent au Temple, glissa Elska en frottant les épaules de Freya avec ses paumes. Tu es l'élue d'Edelyn, il serait normal de t'y voir, n'est-ce pas ? Ça te détendrait, j'en suis sûre.
  • J'ai toujours l'impression de jurer avec le décor. Edelyn n'a pas choisi sa championne à son image.
  • Edelyn a choisi le bras le plus digne de porter sa lame, et le seul capable de détruire le Dieu-Roi. Elle n'aurait pu mieux choisir. Crois-moi, personne ne parait déplacé dans le Temple d'Edelyn ; le lieu s'efface, ses pierres se dissimulent pour laisser les êtres communier avec le monde. Quelques visites te feraient du bien ; tu devrais t'autoriser à fermer les yeux, de temps en temps, et à prendre un peu de repos. Et puis, cela me ferait plaisir de te voir plus souvent…
  • D'accord. Écoute, je viendrai. Dès que j'aurai le temps.
  • Très bien.

Freya se leva, en prenant soin de ne laisser ni ses vêtements, ni le fourreau d'Edelynenlassja tremper dans l'eau qui coulait lentement entre les pierres. De quelques sauts, elle évolua jusqu'au bord du bassin.

  • Je dois y aller, dit-elle en direction d'Elska. Merci pour les informations… et pour les soins.
  • La prochaine fois, rends-toi au temple immédiatement !
  • Je vais finir par comprendre. Moi. Au temple. Je prends note.
  • Et si tu vas rendre visite à Monseigneur Aarland, passe-lui mon bonjour, d'accord ?
  • Tu l'as déjà vu au conseil, répondit Freya avec sur le visage une expression circonspecte. Ainsi qu'au repas.
  • Tu connais le dicton : « À un au-revoir, préfère dix bonjours ».
  • Eh bien, je n'y manquerais pas.

« Pour ce qui est d'Aarland, je préfèrerais un adieu à dix au-revoirs », pensa Freya en quittant les appartements d'Elska.

Les appartements de Slen Aarland n'étaient pas animés de la même activité besogneuse que ceux d'Elska. Le Grand Prêtre d'Addaltyn s'était installé récemment au palais, et ses quartiers consistaient seulement en une chambre et un bureau, lequel était gardé par deux prêtres. Les gardiens se tenaient de chaque côté de la porte, haut et droits dans leurs manteaux gris sombres aux boutons argentés, le visage dissimulé dans l'ombre de leurs chapeaux.

À l'arrivée de Freya, ils se lancèrent mutuellement un regard circonspect ; cette hésitation fut cependant de courte durée, car quels que soient les ordres qui leur avaient été donnés, il n'appartenait pas à de simples officiants de refuser une entrevue au Capitaine de la Garde Impériale. Sans un mot, la porte lui fut ouverte, et elle fut introduite dans le bureau de Slen Aarland.

La pièce était exigüe, compte tenu du rang de son occupant. Elle était presque entièrement plongée dans le noir, et seule la lueur vacillante de quelques bougies éclairait les murs recouverts de grimoires, statuettes et piles de parchemin. Dans un premier temps, Freya crut que l'endroit était désert, tant le bureau paraissait vide et silencieux. Mais un grattement de plume la détrompa ; la lourde chaise qui faisait face au bureau lui dissimulait seulement le maître des lieux, occupé à couvrir d'encre les pages parcheminées d'un épais livre.

  • Je me doutais que vous viendriez, fit Aarland d'une voix sèche qui ressemblait à un râle, sans quitter son ouvrage des yeux. Considérant votre comportement habituel, j'imagine que je dois m'estimer heureux que vous n'ayez pas débarqué à un moment moins adéquat.

Le ton était sévère, sec, lourd de reproches. Freya fit quelques pas pour s'approcher du bureau ; le meuble n'était pas vaste, mais son apparence trapue et les stries qui parcouraient sa surface indiquaient qu'il avait été taillé dans la masse d'un arbre au tronc monumental. Seulement recouvert de quelques livres, de plumes, d'encres et du chapeau bleu nuit qu'Aarland avait décroché de sa tête, le bureau présentait le même dépouillement froid et spartiate qui émanait de toute la pièce. Tout comme les appartements d'Elska rappelaient la fraicheur et la vitalité du temple d'Edelyn, le bureau de Slen Aarland était empli de la même solennité rigoureuse et froide que les temples d'Addaltyn. Le Dieu du savoir n'était pas un modèle de convivialité.

  • Je crois qu'il est plus que temps que nous ayons une conversation, vous et moi, monseigneur, dit Freya avec une voix qui se voulait au moins aussi cassante que celle de son interlocuteur.
  • Vous auriez aimé trouver vos informations chez Elska Hyaland, n'est-ce pas ? fit Aarland en continuant de faire glisser sa plume sur le papier. Cela vous aurait évité de devoir m'approcher ; n'eut été de vos… exploits passés… je vous aurais qualifié de peureuse.

Freya ne répondit pas, se contentant de balayer la pièce du regard.

Le sol était constitué de sable, ne laissant qu'une bande de pavés au pied des murs, et une zone rectangulaire sur laquelle se trouvait le bureau et la chaise d'Aarland. Le sable présentait des nuances de blancs, gris et noir, ainsi que du bleu, du turquoise foncé et plusieurs nuances de mauve, le tout ordonné en des motifs complexes de spirales. C'était ce que les prêtres d'Addaltyn appelaient un saedlaeda ; ces étendues de sable fin constituaient un décor éphémère dans les temples, et un terrain d'entrainement pour les alyvs débutants ; à force de pratiquer les pouvoirs que leur résurrection leur avait conférés, ces derniers étaient capables de faire bouger les grains de sable par la force de leurs pensées, et de créer ces motifs ondoyants colorés. Freya n'eut aucune considération pour la beauté de ce sol minéral, et le foula sans ménagement du pied pour se rapprocher d'Aarland ; cependant, et sans pour autant que ce dernier ait besoin de lever la tête de son livre, les motifs de sable se remirent parfaitement en place après chaque pas de la jeune fille, faisant disparaitre chacune de ses traces à mesure qu'elle se rapprochait du bureau. Au moment où elle posa les poings vindicativement sur la surface de bois brut, le saedlaeda avait retrouvé son dessin original.

  • J'ai beaucoup pensé à vous, depuis Absenhel, lança Freya avec des flammes dans le regard. Agréable et instructive petite conversation que celle que nous avons eu là-bas, vous ne croyez pas ?
  • Instructive, dit Aarland. Instructive. Je ne crois pas que ce mot signifie ce que vous croyez qu'il signifie.
  • Cessez de vous fatiguer avec vos insultes alambiquées, Aarland. Si vous étiez moitié aussi intelligent que vous vous satisfaites de l'être, vous auriez remarqué depuis longtemps qu'elles ne m'atteignent pas.

L'alyv cessa d'écrire. Il déposa lentement sa plume à côté de son livre ouvert, parfaitement parallèle à la couverture de cuir de l'ouvrage, et tourna pour la première fois ses yeux blanc et vides vers Freya.

  • Alors, parlez, dit-il. Je ne suis rien censé savoir, alors pour que je commence à nier toute implication, vous devez commencer par m'accuser. C'est ainsi que se joue ce petit jeu, n'est-ce pas ?

Freya détacha son regard du sien. Elle se retourna et s'approcha des étagères.

  • Lorsque nous avons parlé à Absenhel, vous n'avez même pas cherché à savoir à quoi ressemblaient les Ombergeists. Ce n'est qu'un détail, mais cela m'a mis la puce à l'oreille. J'imagine que le coup de la prime vous a semblé être une solution… adéquate, comme vous dites… hélas pour vous, le fait que cela ait raté ne laisse qu'un seul suspect. Vous.
  • Oh, oui, cette prime ? Terrible erreur. Erreur que j'ai découverte moi-même, d'ailleurs. Vous l'avez échappé belle.

Aarland ne tentait même pas de cacher le sarcasme dans sa voix. Freya continua de lui tourner le dos.

  • Bien sûr, il serait malheureux pour vous que j'aie pu poser les yeux sur le registre de la Guilde Écarlate, n'est-ce pas ? Qui sait à qui j'aurais pu montrer cela. Tout y était. Toutes les preuves.
  • Ce serait ennuyeux. Êtes-vous en train de tenter de bluffer ? C'est une tentative très maladroite.
  • C'est en effet sûrement du bluff. Je serais bien incapable de vous dire que le registre en question fait environ huit centimètres d'épaisseur, qu'il a une couverture rouge en cuir écaillé sans aucun titre, et qu'il a été débuté en l'année 16 du calendrier impérial. Ou que chaque page est signé par le prêtre qui la débute, et que vous signature figure sur les pages 1, 2, 6, 12, 28…
  • ASSEZ ! cria Aarland en refermant son énorme grimoire avec un clac violent. Comment… Comment avez-vous eu accès à ce registre ? Vous avez envoyé un de vos mercenaires fureter dans l'enceinte sacrée du temple ?

Il fulminait de rage. Son changement d'attitude, d'un calme presque minéral à la colère la plus noire, s'était opéré avec une violence qui poussa presque Freya à se retourner. Mais malgré son excitation, Aarland ne s'était pas levé de son siège. Elle se contenta donc de passer ses doigts sur les livres alignés dans les bibliothèques du prêtre, feignant de déchiffrer les titres inscrits sur les tranches. Elle reconnaissait néanmoins que la plupart avaient été écrits par Aarland lui-même, car ils portaient les idéogrammes de son nom.

  • J'ai des moyens que vous ne soupçonnez même pas, dit-elle calmement. Vous avez mis Hel sur ma piste. Je reconnais bien là l'esprit des prêtres d'Addaltyn ; pourquoi envoyer n'importe quel chasseur de prime, lorsqu'on peut envoyer le meilleur ? Hel était un combattant de premier ordre, mais vous avez oublié de lui communiquer un détail, un détail que vous ignoriez : Edelynenlassja ne peut être portée par quiconque, moi excepté. Voilà un grain de sable conséquent dans vos plans, hm ? Dans tous les cas, Hel est mort.
  • Vraiment ? Je le regrette. C'était le plus compétent des mercenaires de la Guilde.
  • Je n'ai aucun doute quant à votre implication. Aucun indice supplémentaire à trouver ; c'était vous, depuis le début. Maintenant, ce que je veux savoir, c'est pourquoi. Pourquoi vouloir ma mort ? Pourquoi vouloir récupérer Edelynenlassja ? Est-ce que tout cela a à voir avec votre secte, le Printemps ?
  • Oh, vous connaissez le Printemps ? Ce n'est rien de plus qu'une action religieuse. Qu'est-ce que le Printemps aurait à voir là-dedans ?
  • Vous niez donc votre implication ?

Aarland croisa les jambes, toujours assis profondément dans son fauteuil dont le dossier lui entourait la tête, comme une auréole sculptée dans le bois. Un léger sourire d'afficha dans son visage livide.

  • Je ne nie rien. J'ai lancé la Guilde sur votre piste. J'ai engagé Hel. J'en sais plus que je ne le laisse croire au sujet des Ombergeists. Est-ce là tout ce que vous vouliez entendre ?

Freya accusa une seconde de choc en entendant Aarland avouer si facilement ses forfaits.

  • Quel est votre but, foutu conspirateur ? J'imagine que vous n'êtes pas non-plus étranger à la dégradation de la santé de l'Empereur. Puisque vous êtes dans un élan d'aveux, alors avouez aussi cela.
  • Ah ! lança Aarland. Pourquoi avouerais-je quelque chose dont vous n'êtes pas sûre ? Ne m'abaissez pas à votre niveau. Vous croyez avoir toutes les cartes, je me trompe ? Vous avez découvert des indices pour me démasquer. Tout concorde. Vous devez êtes tellement fière. Vous avez démasqué le vilain. Mais en vérité, vous ne savez rien. Vous ne voyez qu'un détail minuscule d'une image beaucoup plus vaste que votre imagination. Vous avez découvert tout cela ; bravo. Mais du reste… Alors maintenant, taisez-vous donc et laissez travailler ceux qui ont une réelle maîtrise de leurs actes.
  • Vous ne niez donc rien ? Êtes-vous confiant au point de ne rien me cacher ?
  • Pourquoi cacher ce que vous avez de toute façon découvert ? Vous ne connaissez aucune raison à mes actes. Mes motivations et mes relations vous sont inconnues. Et qu'allez-vous faire ? Rapporter tout cela à votre grand ami, Enerland ? Vous n'êtes pas la seule à connaitre quelques vérités gênantes, ma pauvre enfant.

Freya resta muette. Elle s'était tourné à en direction d'Aarland. Sur le visage de marbre de l'Alyv s'était dessinée une expression de folie contenue ; pour autant, ses traits n'étaient que légèrement plus tendus qu'à l'accoutumée.

  • Je sais avec qui vous avez voyagé, continua Aarland. Ark Erlang, prince de Nornfinn, un des plus grands ennemis de l'Empire. Une alliance intéressante, qui vous attirera sûrement la confiance de tout un chacun. Et l'autre homme, cheveux noirs et barbiche ? Celui avec qui vous vous êtes rendue à Dole-Halsring ? Je ne suis pas homme à croire des rumeurs impossibles, mais savez-vous ce que le Printemps me rapporte ? Qu'il pourrait s'agir de Thorsfeld lui-même, dépouillé de ses pouvoirs et sur le retour. Délirant, n'est-ce pas ? Je ne sais que croire.

Ce que Freya craignait s'avérait donc exact. Aarland savait pour Ark et, pire que tout, pour Thorsfeld. Elle s'apercevait désormais à quel point son comportement avec été insouciant depuis le début ; elle aurait dû se douter que ses fréquentation pourraient la décrédibiliser, elle et ses accusations.

  • Thorsfeld est mort il y a six ans, argua-t-elle. Vous délirez.
  • Il serait tellement dommage que vous soyez mise à jour comme l'imposture que vous êtes, continua Aarland en l'ignorant. Dès le début, si le peuple apprenait que sa précieuse héroïne n'a jamais reçu son épée des mains d’Edelyn, quelle opprobre ce serait ! Il est d'ailleurs curieux que votre lame soit réellement dotée de pouvoirs divins ; mais nous ne sommes pas à un secret près, non ?

Freya commençait à se sentir mal. Le flot de la conversation avait totalement changé de direction, et c'était maintenant au tour d'Aarland de déballer ce qu'il savait sur elle. Une goutte de sueur coula sur son front, pour s'engouffrer dans le tracé de la cicatrice qui le barrait l'œil droit.

  • Vous voyez ? reprit Aarland. Nous avons tous les deux d'intéressantes informations. Alors voilà ce que nous allons faire. Nous allons les garder pour nous. Pourquoi ? Parce que vos accusations sont ridicules. Vraie, je vous l'accorde, pourquoi le nierais-je ? Mais ridicules néanmoins. Difficiles à croire. Les miennes, néanmoins, sont facilement prouvables. J'imagine que vos aimables compagnons ne sont pas loin ? Il serait sûrement simple de les retrouver. Votre crédibilité en prendrait un coup. Nous allons donc, vous comme moi, rester bien silencieux. Vous allez vous éloigner de tout cela et me laisser en paix, d'accord ? Je crois que vous n'avez pas le choix.
  • Si vous avez quoi que ce soit à voir avec la horde d'Ombergeists qui assiège la ville en ce moment-même…
  • Une horde ? Le mot est mal choisi, ma pauvre. C'est une armée.
  • Alors vous…
  • TAISEZ-VOUS ! hurla Aarland. Par pitié, cessez votre pseudo-enquête infantile ! Vous ne savez rien, et vous ne pouvez rien faire, je vous l'ai prouvé comme deux et deux font quatre. Que vous faut-il de plus ? Des menaces ?

Cette fois, le prêtre était entouré d'une véritable aura de rage et de folie mêlée. Il se dégageait de lui la même impression que lorsque Freya lui avait annoncé avoir vu les Ombergeists à Absenhel. Il s'avançait vers elle d'une façon menaçante.

  • J'en ai assez de jouer au plus malin avec une gamine dans votre genre, Helland ! Vous vous êtes trouvée au bon endroit au bon moment il y a des années, et le monde entier vous a glorifié pour cela, mais vous n'êtes qu'une idiote. Vous ne méritez rien de ce qui a été placé entre vos mains. L'Empereur vous fait confiance, mais bientôt, il comprendra que vous êtes impuissante et que vous ne pouvez rien pour lui ! Vous ne pourrez pas l'aider !

Freya sentit une pression sur sa gorge. Aarland était à plusieurs mètres d'elle, mais elle avait la sensation que le vieil Alyv serrait les mains autour de son cou. Chaque pas qu'il faisait resserrait l'étau ; bientôt, elle fut absolument persuadé que ce n'était pas un simple effet psychologique. En même temps qu'il l'inondait de ses menaces, il faisait usage de son pouvoir d'Alyv contre elle. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, elle était courbée en deux, le visage crispé, la respiration courte, se battant contre l'influence de son adversaire. Elle était en sueur et son visage s'était empourpré progressivement.

  • Maintenant, je ne veux plus vous voir ! gronda Aarland entre ses dents serrées, le visage à quelques centimètres de celui de Freya, ses yeux blancs auréolés de vert écarquillés comme des soucoupes démentes. Disparaissez de ma vue, gamine insolente !

C'en fut trop. Freya s'était retenue trop longtemps, elle avait laissé bouillir sa rage et sa frustration pendant des jours, et les hurlements d'Aarland furent la goutte qui fit déborder le vase. Elle en avait assez. Assez d'être traitée comme une gamine. Assez de ne pas savoir. Assez d'être menacée sans comprendre pourquoi. Cette rage qui déferlait dans ses veines était plus puissante que les pouvoirs d'Aarland, et dans un souffle, elle se libéra du pouvoir de l'Alyv, provoquant au passage un choc aussi violent qu'inattendu entre son front et le nez d'Aarland. Ce dernier recula en jurant, se tenant le visage d'une main. Il saignait ; du moins, ses doigts étaient couverts du liquide synthétique translucide qui tenait lieu de sang aux Alyvs. Freya se redressa, et n'attendit pas une seconde de plus pour se diriger vers la porte.

  • Vous me croyez impuissante, lui lança-t-elle. D'autres ont fait la même erreur avant vous, et tous l'ont regrettés. Je jure de vous poursuivre où que vous alliez, de défaire vos plans, et de vous tuer moi-même si vous m'en laissez la moindre occasion. Désormais, vous êtes de ceux qui ont la malchance de compter parmi mes ennemis, Aarland. Félicitations.

Et sur ces mots, elle repassa la porte du bureau, laissant les prêtres qui gardaient cette dernière accourir au secours d'un Slen Aarland plié en deux, le nez en sang, et le regard plus meurtrier qu'un loup blessé.

Lentement, le motif dans le sable se remit en place, effaçant toute trace du passage de Freya. Bientôt, ce fut comme si aucune déclaration de guerre n'avait eu lieu sur le sol de cette pièce.

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