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Chapitre 34
Dos au mur
Il s'appelait Ilfling. Le garçon d'écurie le lui avait dit en lui tendant les rênes, quelques minutes auparavant. Ilfling était un cheval gris sombre aux pattes et à l'encolure parcourus par de légères rayures plus claires. Il était grand et robuste, tellement musculeux, de fait, qu'on aurait pu le prendre pour un animal de traie. Freya ne savait pas pourquoi on lui avait prêté ce cheval en particulier, mais il lui plaisait. Malgré toutes les offres qu'elle avait eues depuis son arrivée à Dolenhel, six ans plus tôt, elle ne possédait pas son propre cheval ; lorsqu'elle faisait encore partie des Dix de Vaughan, un client avait tenu à leur prouver sa gratitude en leur offrant les chevaux qu'il leur avait prêté pour leur mission. Elle avait donc eu son propre animal pendant des années, avant que celui-ci ne périsse, frappé par une flèche perdue lors d'une bataille. Le choc de cette séparation avait convaincu la jeune fille de renoncer à se procurer une nouvelle bête ; elle préférait se tenir éloignées des sentiments inutiles liés à l'attachement. Et puis, les écuries du palais étaient toujours pleines de chevaux prêts à l'emporter partout où elle voulait aller.
Dolenhel était déjà grouillante de monde, malgré l'heure matinale. L'air était frais et sec, et les toits des maisons étaient encore blancs de givre. L'herbe avait cette texture cassante que le gel nocturne lui donnait tous les matins, mais Freya, montée sur son cheval, ne pouvait le sentir. Les rues étaient trop peuplées pour elle ; elle préféra utiliser des ruelles et de petites venelles étroites pour atteindre les remparts, plutôt que de se perdre dans les rangs serrés des passants, obligée de saluer et de supporter les regards comme un char à la parade.
Elle fit monter Ilfling par une des rampes qui longeait les murs de la ville, pour se rendre en haut des remparts, dont elle entreprit de faire le tour. Elle était habitué à ces promenades à cheval en périphérie de la ville ; elle aimait faire le tour de la cité, avec d'un côté une vue sur les toits, les arbres et les cheminées à perte de vue, et de l'autre l'étendue infinie de la plaine de glace qui cernait Dolenhel. Ce jour-là cependant, l'extérieur de la ville n'offrait à l'œil qu'une masse de brouillard fixe et empli d'une menace aussi réelle que silencieuse. Elle avait du mal à regarder la plaine de Dolenhel sans sentir des sueurs froides couler le long de son dos, au souvenir de ses rencontres passées avec les Ombergeists. La brume n'était pas sombre, et le ciel bleu donnait à cette matinée une ambiance qui aurait dû être apaisante, voire prometteuse ; pourtant, le simple fait de savoir la ville entourée par les Ombergeists laissait planer une menace qui assombrissait le ciel et salissait la neige.
La cité assiégée préparait le jubilé de l'Empereur, qui devait avoir lieu le lendemain. Un nombre inimaginable de bannières, de fanions, de guirlandes et de tables en bois avaient été installés pendant les jours précédents, et l'excitation était à son comble. Mais c'était une excitation fébrile, nerveuse, presque paranoïaque, bien différente de celle des années précédentes. La rumeur avait fait le tour de la ville, et tout le monde savait que les Ombergeists étaient réels, et plus proches qu'on ne pourrait le croire. Cette année, le jubilé serait morose, au mieux ; Freya se demandait si Elska avait raison de croire que les célébrations remonteraient le moral des habitants.
Sur les remparts, chaque créneau était orné d'une torche, qui, la nuit venue, éclairait les alentours d'une lumière bleutée. Comme le voulait la tradition, une trainée de ces feu azurés faisait le tour de la ville, avançant chaque nuit un peu plus jusqu'à faire le tour des murs. Le dernier pan des remparts serait illuminé ce soir-là, achevant le cercle. Peut-être cette lumière bleue qui rayonnait de la ville la nuit dissuadait-elle les Ombergeists d'attaquer ? Freya n'en avait aucune idée, mais elle se demandait bien ce qui poussait ces monstres à entourer la ville sans jamais avancer au-delà des limites de la brume. Cette pression montante rendait chaque jour plus insupportable la présence de ce brouillard impénétrable.
Elle croisa de nombreuses patrouilles, qui parcouraient le mur inlassablement, dans les deux sens. Leur fréquence était largement supérieure à celle des autres jours, et de nombreux autres militaires se tenaient immobiles derrières les créneaux, scrutant en permanence le brouillard et l'inatteignable horizon. En bordure des remparts, des recrues s'entrainaient ; l'enrôlement des forces de réserve avait donc commencé. Quelques soldats s'essayaient au maniement du fusil, une arme capable de retournements de situation spectaculaires lors d'un siège. Mais Freya savait que comme les épées, les balles et la poudre seraient inefficace contre la peau inattaquable des Ombergeists.
Il lui fallut quitter les murs lorsqu'elle atteignit une tour de jonction, car la lourde et étroite entrée de l'édifice n'avait pas été prévue pour un cheval ; de fait, elle avait été conçue pour rendre la simple tâche d'y entrer le plus ardu possible. Deux rampes plus tard, elle rejoignait de nouveau le chemin de ronde, et elle fut alors rejointe par un autre cavalier.
Vaughan montait une jument baie qui était à l'image de son maître : calme, fine et élancée, mais vive et douée d'une allure altière. Le Général et sa tunique de maître d'arme étaient inséparables, mais il portait une chemise légère en-dessous que Freya n'avait jamais vue. Son épée était fixée à une attache sur la droite de sa selle. Il paraissait de bien meilleure humeur que la veille.
Ils dépassèrent une énième patrouille de soldats, qui les saluèrent avec déférence. Quelques flocons de neige se mirent à tomber mollement, signe avant-coureur d'un après-midi couvert. Déjà dans le ciel commençaient à se montrer quelques nuages grisâtres.
Vaughan regarda vers l'extérieur de la ville, son regard se perdant dans l'infinité blanche de la brume qui encerclait la ville.
Vaughan avait les lèvres serrées, presque pincées. Son visage avait retrouvé son air grave et préoccupé.
Quelques minutes s'écoulèrent sans qu'aucun des deux ne prononce le moindre mot. Cette promenade ramenait à leurs esprits des échos lointains, quand ils avaient l'habitude de chevaucher ensemble, le vieux guerrier et la gamine sauvage, le maître et l'élève. Tous les membres des Dix avaient été plus ou moins les apprentis de Vaughan pour ce qui était du maniement des armes ; Rowan et Alrone étaient sous ses ordres depuis des années, bien sûr, et d'autres l'avaient rencontrés alors qu'ils savaient seulement agiter une épée maladroitement avec un air menaçant – certains, comme Freya, avaient atteint une efficience incroyable dans cette discipline. Même ceux dont les capacités avaient été éprouvées par des années d'expérience avant de rejoindre la troupe, comme Levi ou Adol, avaient eu à apprendre une chose ou deux du maître d'arme de l'Empereur. Mais avec Freya, c'était spécial. Ils avaient une relation qui allait au-delà des autres. Pour cette raison, et malgré les obstacles hiérarchiques et protocolaires que la vie avait placé entre eux, ils ressemblaient plus à un père et sa fille qu'à un général et son capitaine.
Freya le regarda avec de grands yeux.
Freya ne dit rien. La perspective d'une annihilation totale de la capitale impériale des mains des Ombergeists était à envisager. Ces monstres étaient bien pires que ce que Vaughan pouvait imaginer, elle le savait, car personne ne pourrait concevoir l'horreur de leur existence sans en avoir été le témoin. Dolenhel pouvait tomber. Tel que les choses avançaient, l'hypothèse devenait même plus plausible à chaque heure qui passait.
La question surprit Freya. Elle le regarda avec circonspection.
La neige s'était mise à tomber en de plus gros flocons, qui vinrent ponctuer la déclaration morbide de Vaughan. Pourtant, malgré ses mots, il n'avait pas l'air abattu, ni même sur la défensive. Il ressemblait plus à l'ancien Vaughan, le chef charismatique d'un petit groupe de mercenaires, celui qui était capable de renverser le cours des batailles et qu'aucun client n'avait jamais rechigné à payer.
Il lui répondit à son tour par un sourire. Ils étaient arrivés à hauteur d'un abri comme il y en avait plusieurs sur les remparts ; ces constructions sommaires, constituées de quatre piliers de bois et d'une vaste toile de jute en guise de toit, offrait un abri aux soldats en patrouille. Celui-ci recouvrait un large brasero à même le sol, où rougeoyait de petites montagnes de charbon ardent. Autour du feu se trouvaient une demi-douzaine de soldats, emmitouflés dans leurs capes. Ceux qui venaient de rentrer sous le toit battant au vent étaient en train d'épousseter leurs vêtements pour les débarrasser de la neige, qui tombait de plus en plus drue. Le ciel s'était assombri très rapidement.
Les soldats amassés sous l'abri le saluèrent à l'unisson. Freya s'arrêta à leur hauteur et descendit de son cheval.
Sur le brasero étaient en train de cuire ce qui constituerait le déjeuner des soldats qui passeraient par cette partie des remparts. Des brochettes de boulettes de viande étaient plantées à même le sable qui constituait le lit sur lequel le charbon avait été déposé. Elles se dressaient en de longues tiges entre les théières posées à même le feu. Quelques boules de pain brioché les accompagnaient ; ces énormes morceau de pain fourrés de fromage et cuits directement dans les braises était appelé Urbrak. La croute était trop calcinée pour être mangeable, mais l'intérieur de ce met traditionnellement militaire était fondant à se damner.
Freya s'avança vers le brasero, saluée par les soldats. Elle rejoignit Halek et Rowan, qui se trouvaient justement sous cet abri de fortune. Les deux membres de la Garde Impériale étaient mêlés aux autres soldats ; la vaste silhouette noire de Rowan reflétait peu la lumière orangée du feu, mais cette dernière s'attardait volontiers sur les muscles saillants de Halek, dessinant nettement les contours de ses tatouages. Le froid polaire et la neige qui s'accumulait sur ses épaules ne semblait pas le gêner.
Halek se mit à rire, de son grand rire clair et insouciant.
Rowan se baissa et, attrapant une des théières dont un filet de vapeur s'élevait du bec, il remplit trois verres en argile d'un thé fumant, brun et trouble. Freya posa le sien sur un créneau ; autour de la base du verre, le blanc du givre devint moins opaque, jusqu'à former un rond bien net, blanc crème comme la pierre des murailles. Halek but le siens sans se préoccuper de la température, presque cul-sec.
Freya lui fit signe de baisser d'un ton. Il y avait beaucoup de soldats autour du brasero et mieux valait garder leurs échanges discrets quand il s'agissait d'Aarland. Or, la discrétion n'était pas une qualité que Halek pouvait se targuer de posséder. Ils s'éloignèrent un peu du feu et des conversations des patrouilleurs, pour s'exposer à la neige et au silence surnaturel qui s'imposait lorsqu'elle tombait par gros flocon. L'air semblait se saturer de ces flocons cotonneux, et l'ambiance paraissait immédiatement plus feutrée.
Freya regarda la neige qui s'accumulait à ses pieds, puis dirigea son regard vers la brume à l'horizon.
Freya porta son thé à ses lèvres. Il était encore bouillant, et son goût amer se diffusa dans sa bouche alors qu'elle sentait le liquide chaud s'écouler dans sa gorge. Halek et Rowan se chamaillaient comme des gamins, discutaient de la bataille comme si de rien n'était, et se préparaient au combat sans jamais vraiment le prendre au sérieux. C'était un instant qu'elle avait vécu cent fois, et pourtant, à ce moment particulier, ça voulait dire beaucoup. Ça signifiait qu'il y avait encore des choses qui tenaient debout, qui restaient fixes, immuables. Des choses auxquelles elle pouvait se raccrocher. Sans qu'elle sache pourquoi, elle était assaillie de nostalgie, depuis son retour à Dolenhel. Elle mettait ces sentiments sur le compte de son voyage aux côtés de Thorsfeld.
Freya remonta sur Ilfling dans un mouvement agile, malgré sa lourde armure. Le cheval renâcla sous son poids, et elle attrapa les rênes fermement.
Et elle s'éloigna d'eux, sous le rythme régulier des sabots d'Ilfling sur les pierres du mur. La neige noyait le paysage dans un océan de blanc, et bientôt, la lueur chaude du brasero disparut dans la distance, et avec elle, les silhouettes d'Halek et Rowan.
Lorsqu'elle regarda de nouveau en direction de la brume, il lui sembla voir un trait lumineux orange se dessiner au loin. L'impression fut brève, et avant qu'elle puisse mieux regarder afin d'être sûre de ce qu'elle avait vu, la lumière disparut, comme un bougie qu'on éteint.
Ne resta plus que l'immensité blanche, le froid, et le silence.
La fête du jubilé avait débuté tôt dans l'après-midi à Dolenhel. Comme chaque année, elle devrait durer la bagatelle de trois jours. Trois jours d'ambiance festive, de festin, de beuverie, le tout aux frais de l'Empereur. À l'extérieur de leur entrepôt miteux, ils pouvaient entendre la rumeur distante de la fête ; musique, tintements de vaisselle et cris se mêlaient dans une cacophonie lointaine et indistincte, qui parvenait malgré tout jusqu'au quartier industriel dans lequel ils avaient élu domicile. Ark tentait tant bien que mal de faire entrer l'ambiance du jubilé dans leur abri ; Thorsfeld se plaisait à saboter ses efforts.
Ark avait réussi à dénicher un tonnelet de bière tiède, et des verres qu'un observateur peu regardant aurait pu éventuellement considérer comme propres. S'il était saoul, et qu'il se tenait très loin, par temps de brouillard.
Thorsfeld finit par accepter, notamment pour qu'Ark arrête de presser avec insistance la chope crasseuse contre sa joue. Ce dernier savait se faire insistant jusqu'à en devenir insupportable, mais à la consternation de l'ex-Dieu-Roi, il finissait toujours par obtenir ce qu'il voulait. Sa capacité à l'avoir à l'usure l'agaçait profondément.
Il goûta la bière. Elle était répugnante. Le genre de breuvage qui pourrait causer un suicide collectif dans une assemblée d’amateurs de houblon habituellement peu prompts à la dépression. Une telle bière, lâchée dans un concert de punk-rock, pourrait faire un carnage. Thorsfeld en avala une seconde gorgée. Il avait presque perdu son sens du goût, de toute façon ; le peu qui lui restait fut annihilé sur le coup.
Le Skryggar était perché sur une des lourdes poutres de bois qui s'entrecroisaient dans les hauteurs de l'entrepôt. D'un bond agile, il atteignit le sol près de la table autour de laquelle Ark et Thorsfeld étaient assis.
Ark but malgré tout une gorgée de bière avec un sourire. Il paraissait d'excellente humeur ; Thorsfeld supportait mal la félicité qu'Ark semblait tirer de leur échange. En fait, à ce stade, Thorsfeld supportait bien peu de choses. Lui qui était souvent ouvertement grognon, cynique et impatient, il était devenu une véritable loque, replié sur son tabouret, enveloppé dans sa cape, tantôt tremblotant de froid, tantôt transpirant à grosses gouttes. Pour ce qui le concernait, le monde était rempli de deux types de personnes : il ne se souvenait pas de la différence entre les deux, mais tous deux l'insupportaient.
Vaughan. Ce nom était familier aux oreilles de Thorsfeld.
Devant le regard de ses camarades, il reposa de nouveau la tête entre ses bras, croisés sur la table.
Ark rompit un morceau de pain qu'il avala avec sa bière. Il avait les pieds posés sur la table avec nonchalance, les jambes tendues et croisées, se balançant légèrement sur sa chaise.
Thorsfeld ne pouvait voir le visage de Lieros sous son masque, mais il savait qu'à ce moment, il le dévisageait intensément. Il lui était cependant impossible de savoir ce que les Skryggars d'Ark pensaient de la présence de l'ex-Dieu-Roi ; leur discrétion et leur confiance totale en leur maître les dissuadait visiblement de tout commentaire sur ses choix de fréquentation.
Le changement de sujet lui fit temporairement oublier sa souffrance ; il tendit l'oreille.
À ce moment, Mirridian se réceptionna entre Thorsfeld et Lieros, sans faire un bruit lorsqu'il toucha le sol. L'ex-Dieu-Roi sursauta face à l'apparition aussi silencieuse que soudaine du Skryggar, qui arrivait lui aussi du toit. Un mince rayon de lumière filtrait travers les poutres, dévoilant une ouverture sur l'extérieur située dans le grenier.
Sa cape était légèrement blanchie par quelques flocons qui s'y étaient déposés ; à l'extérieur, une neige fine tombait par averses sur la fête du jubilé.
Mirridian acquiesça pour valider l'observation de son camarade. Ils continuèrent à rapporter à Ark leurs observations anecdotiques de la journée.
Thorsfeld, lui, avait rejeté la tête en arrière sur sa chaise, et se balançait, le talon droit appuyé contre la table, offrant à son entourage une image quasi-parfaite de la flemme. Il avait à peine fini sa chope de bière, mais déjà la tête commençait à lui tourner ; dans son état, sa résistance à l'alcool était au plus bas. Cet était d'ivresse tout relatif avait l'avantage de le plonger dans une somnolence comateuse et confortable, qui soulageait ses maux de tête et ses courbatures. Pour un peu, il se serait presque senti bien.
Cet état de grâce fut éphémère : regardant d'un œil distrait à l'extérieur à la faveur d'un trou entre les planches qui condamnaient l'unique fenêtre de l'entrepôt, il aperçut du mouvement au coin de la rue.
À l'extérieur, une lanterne projetait sur les façades des remises et des entrepôts voisins une lumière jaune, spectrale, qui luisait plus qu'elle éclairait. Cela donnait à la rue une ambiance morte et froide, en comparaison aux lueurs bleues et mauves qui rayonnaient du centre de la ville, au loin. Ce ressenti était renforcé par les quelques flocons bien peu motivés qui s'échouaient sur le sol pavé, et la luminosité du jour déclinante, qui laissait la ville entre chien et loup ; l'ambiance glauque ne fut pas interrompue par les silhouettes sombres qui s'engagèrent dans la rue d'un pas décidé.
Ark détourna son attention de ses Skryggars pour se tourner vers l'ex-Dieu-Roi, qui s'était redressé sur sa chaise pour lorgner à l'extérieur de l'entrepôt.
Lieros s'approcha soudainement de la fenêtre, et regarda à son tour.
Ils gardèrent le silence pendant plusieurs secondes. Le sol de l'entrepôt était en contrebas de la porte d'entrée, qui s'ouvrait sur quelques marches. Elle laissa bientôt passer des bruits de bottes venant de l'extérieur, et une voix trop étouffée pour être reconnue. Autour de la table, Mirridian, Lieros, Ark et Thorsfeld retenaient leur souffle.
Les bruits s'arrêtèrent. Le temps sembla s'étirer douloureusement.
Puis on frappa. Deux coups. Sans violence, sans insistance, juste deux coups secs et nets. Tous les quatre se regardèrent.
Il n'y avait plus que deux personnes visibles dans l'entrepôt lorsqu'Ark ouvrit la porte. Face à lui se trouvaient cinq soldats de Dolenhel, facilement reconnaissable à leur armure réglementaire, et un homme qui avait tout l'attirail du fidèle d'Addaltyn : chapeau noir vissé sur la tête, long manteau de cuir sombre, livre à la couverture bleu nuit attaché à la ceinture, et visage sévère. Il avait la peau mate, les lèvres fines, et une barbichette courte d'un noir d'encre.
Le visiteur ne dit rien lorsque la porte s'ouvrit. Il ne tenta pas même d'entrer. Il se contenta de dévisager brièvement Ark, comme s'il ne s'attendait pas à trouver un Nornfinnien dans cet entrepôt, puis il regarda en détail l'intérieur. Une expression d'incompréhension dissimulée se lisait sur son visage.
Le visiteur ne le voyait pas, mais juste au-dessus du cadre de la porte, Mirridian était collé au mur, les pieds calés sur une saillie du bois, arme au poing, prêt à frapper au moindre mouvement suspect. L'homme dirigea de nouveau son regard vers Ark.
Il s’arrêta un instant, et posa son regard successivement sur Thorsfeld et Ark.
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