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Chapitre 36
La théorie du complot
Ark, Lieros et Mirridian avaient le regard fixé sur Thorsfeld, retenant leur souffle en attendant une manifestation, un signe, n’importe quoi qui leur montrerait que le Dieu-Roi était de retour avec sa puissance d’antan. Au lieu de ça, il porta ses mains à sa bouche avec une grimace.
Regard interloqué.
Thorsfeld reposa ses mains sur sa couronne, comme s’il cherchait à l’enfoncer plus solidement sur sa tête. Son visage était figé dans une expression de concentration intense.
Ark et ses Skryggars se regardèrent. L’expression déçue du Prince de Nornfinn était bien peu de choses par rapport à celle de l’ex-futur-Dieu-Roi. Thorsfeld décrocha la couronne du sommet de son crâne et entreprit de la triturer dans tous les sens, l’agitant entre ses mains comme une patate chaude. Quelques gouttes de sueur commençaient à perler sur son front.
Et pourtant, il ne le savait pas. En réalité, il s’était contenté de suivre les conseils de C. aveuglément. Il n’avait même pas changé ses plans lorsqu’il avait rencontré l’homme dans la réalité, chose qui aurait dû lui faire comprendre à quel point il était suspect. C. lui avait menti. Son cœur fit un saut en chute libre dans sa poitrine lorsqu’il réalisa que C. était peut-être un de ses ennemis. Cette pensée lui donna la nausée. Et s’il l’avait seulement lancé à la poursuite de la couronne pour l’amener à Dolenhel ? S’il était le complice d’Aarland ? Mais ça n’avait aucun sens. Il avait pu le retrouver sans mal, et rentrer à Dole-Halsring sans éveiller le Gardien. S’il avait tant de facilité à outrepasser les règles établies de Dromengard, pourquoi ne l’avait-il pas tué lui-même ? Et pourtant, la piste de la couronne s’était conclue en déception.
Les quelques forces qui lui étaient revenues depuis son arrivée au palais Impérial quittèrent le navire avec précipitation. Il se laissa retomber dans un fauteuil, le regard fixe, l’air hagard.
Et il l’était. Probablement pour la première fois, il était sincèrement et véritablement désolé. Il était désolé pour lui-même, et pour Ark. Désolé pour Dromengard, désolé pour Dolenhel. Il pensait pouvoir élucider le mystère, pouvoir donner des réponses à tous ceux qui lui avaient posé des questions depuis son retour, mais il en était incapable. Il ne sauverait personne, pas même lui. Il se sentait plus impuissant que jamais. Ark le regarda, les sourcils légèrement froncés.
Il fit quelques pas en direction de la porte. D’un geste de la main, il fit signe à ses Skryggars de le suivre ; Lieros et Mirridian se dirigèrent à sa suite, sans que leurs pas ne laissent échapper le moindre bruit.
Et ils quittèrent la chambre de Thorsfeld, laissant ce dernier prostré, incapable de bouger, ni même de détourner son regard du mur vers lequel ses yeux étaient fixés.
Il resta seul, dans sa chambre plongée dans l’ombre, avec pour seule compagnie le silence et le sentiment d’un échec duquel il ne se relèverait pas.
Ils se retrouvèrent plus tard dans la salle du trône, à l’occasion du dîner. Un serviteur était allé chercher Thorsfeld, qui était allongé en position fœtale dans son lit, très occupé à pratiquer son nouveau sport favori, la contemplation de mur avec regard vide. Une longue table avait été installé et décorée de fleurs, ainsi que d’une quantité incroyable d’argenterie qui recouvrait presque entièrement la nappe brodée, et de chandeliers ; ces derniers faisaient écho aux centaines de bougies agglutinées contre les colonnes, qui faisaient baigner la salle dans une lumière chaude et tamisée. Les arcades de pierres étaient ouvertes sur l’extérieur, laissant entrevoir la ville en contrebas ; malgré le froid qui régnait à l’extérieur, la salle du trône était emplie d’une douce tiédeur que venait renforcer des brasiers allumés aux extrémités de la table. Thorsfeld alla tirer une chaise à côté d’Ark.
Ark serra ses poings posés sur la table. Il tapotait la nappe en rythme avec ses doigts, en tournant la tête vers Thorsfeld, affichant un air mystérieux.
L’Empereur venait de pénétrer dans la salle, interrompant leur discussion. Il était accompagné de ses gardes Impériaux, qui fermèrent les grandes portes de la salle du trône, et restèrent à l’extérieur.
Il se dirigea vers la table en s’aidant de sa canne, qui résonnait contre les dalles du sol en brisant le silence de la salle trop vaste et trop vide. Il prit place en bout de table, repoussant les pans de sa robe pour s’asseoir dans le fauteuil en bois orné de soie qui avait été préparé à son égard.
Des serviteurs habillés de noir, avec de longs tabliers qui leur couvraient les jambes, entrèrent avec des plats qu’ils déposèrent face aux convives.
Leurs assiettes furent remplies d’une épaisse soupe de légume, dans laquelle nageaient des morceaux de pâtes à brioche, une mise en bouche typique d’Hindenland. Thorsfeld attrapa sa cuillère et mangea en silence, machinalement, comme une machine programmée pour vider sa soupe. La saveur du plat ne lui inspirait aucune réaction. Rien n’avait plus ni goût ni saveur autour de lui.
Le repas se poursuivi, d’entrée en hors d’œuvres et d’amuse-bouche en plats de résistance. C’était une ribambelle de goûts et de couleurs qui défilait devant les yeux d’Ark et Thorsfeld. Le Prince de Nornfinn les dégustait avec intérêt ; l’ex-Dieu-Roi, lui, mâchait avec autant de passion qu’un géranium oublié au soleil.
La discussion entre Ark et l’Empereur était cordiale, mais aucun d’eux n’abordait de sujets véritablement importants. Ils ne parlèrent pas des Ombergeists, de la guerre, ou de politique. Ils préférèrent s’attarder sur la botanique, la gastronomie de Nornfinn ou les livres qu’ils avaient lus dernièrement. Samahl Enerland fut fortement intéressé par la description qu’Ark lui fit de la bibliothèque de Dole-Halsring. Ils devisaient agréablement, mais aucun d’entre eux n’oubliait qu’ils étaient ennemis, et que leurs peuples respectifs auraient du mal à leur pardonner autant de cordialité.
C’est seulement au moment où le dessert fut apporté qu’Ark aborda le premier sujet qui fut au-delà du bavardage. Lui et l’Empereur étaient en train de parler de la cybèle, l’herbe qui apportait la lumière dans les profondeurs de Dolenhel.
Ark reposa sa cuillère dans son assiette et croisa les bras. L’Empereur le regardait de ses yeux fatigués, passant le doigt sur les pics de sa couronne, posée sur la table à côté de lui.
Ark haussa un sourcil. De toute évidence, l’Empereur était fier de son histoire, et se délectait de l’intérêt de son convive. Thorsfeld écoutait l’histoire d’une oreille distraite ; il se sentait épuisé au point qu’il avait du mal à garder les yeux ouverts.
Finalement, Samahl Enerland rompit le suspens :
Ark bondit sur sa chaise comme si son dossier avait explosé.
Thorsfeld lui-même montra son premier signe d’intérêt depuis le début du dîner, en tournant la tête vers l’Empereur. Il avait réussi à attiser la curiosité de l’ex-Dieu-Roi à l’agonie, et sous les tremblements de sa voie lasse s’entendait une pointe de fierté triomphante.
Le Prince de Nornfinn s’enfonça tout au fond de son fauteuil, les doigts joints, dans une position de concentration extrême. Comme à chaque fois qu’une discussion tournait autour des dragons, il était devenu d’un sérieux de marbre.
Un serviteur lui avait apporté une longue et fine pipe bourrée d’un tabac léger, qu’il alluma avec une bougie. Il tira une longue bouffée et envoya voltiger une longue trainée de fumée qui alla s’aventurer le long des colonnes de pierre. Il s’éclaircit la gorge avec un son bref et guttural.
Il tira de nouveau sur sa pipe. Il n’était plus affalé au fond de son siège comme un vieillard ; depuis le début de son récit, il semblait reprendre des couleurs, et se rapprochait plus d’un homme de son âge. Ark n’avait pas bougé d’un pouce.
Nouvelle bouffée de fumée.
Thorsfeld ne comprenait pas le stratagème de Samahl Enerland aussi bien que son compagnon. Et puis, tout lui apparut soudainement.
Quelques instants de silence passèrent. L’Empereur fumait sa pipe, Ark semblait perdu dans ses pensées, et Thorsfeld attendait la réaction du Prince. Finalement, il se décida à parler.
Ark croisa les bras et s’appuya sur la table. Il avait toujours l’air aussi sérieux et pensif. Le sourire en coin qui ornait habituellement son visage s’était effacé au début de l’histoire de Samahl Enerland et n’avait pas reparu depuis.
Il claqua dans ses mains, et d’autres serviteurs apportèrent des plateaux pleins de sucreries, et remplirent leurs verres d’alcool.
À l’extérieur, les lumières de Dolenhel brillaient toujours de mille feux, comme pour mieux repousser les monstres qui la menaçaient.
Qui pouvait dire combien de temps encore brûleraient les feux de la capitale ?
Dans la ville, entre le palais et les remparts, l’ambiance était toute autre.
Freya se laissait aller en arrière, penchant son tabouret en bois rustique pour s’appuyer contre un muret. Elle fumait une petite pipe que Rowan lui avait prêtée ; il se trouvait lui-même à ses côtés, occupé à faire voltiger d’impressionnants ronds de fumée dans le ciel nocturne.
Sur le visage de la jeune fille s’étalait une expression de profond contentement. Elle se trouvait comme enfermée dans une bulle duveteuse, confortablement repue par le copieux repas qu’elle avait partagé avec Rowan, Halek, Levi et bon nombre d’inconnus. L’alcool avait coulé à flot, et elle avait ingurgité suffisamment de bière pour que ses sens la laissent un peu en paix, libre de laisser son esprit vagabonder. Un léger sourire était tout ce que ses lèvres avaient à accorder à l’ambiance festive autour d’elle, aux beuveries, aux danses et aux chants. Le dos calé contre les pierres glacées du mur, elle profitait de la fraicheur du soir, avec à sa portée du bon tabac, de la nourriture à foison, et une bière qui n’avait pas percé le fond de sa choppe, ce qui était une denrée rare à Hindenland. Pour rien au monde elle n’aurait passé la fête du jubilé enfermée dans les murs du palais, et elle était reconnaissante envers l’Empereur de n’avoir pas requis sa présence.
Le rougeoiement timide au bout de sa pipe finit par mourir, et la tête lui tournait moins que quelques minutes auparavant. Elle tapota l’instrument contre le bois usé de son tabouret pour en déloger le tabac noirci, et se tourna vers Rowan. Il semblait dormir, le menton appuyé sur sa vaste bedaine, mais elle savait qu’il n’en était rien.
Freya se leva, avec un peu trop de difficulté à son goût. Elle avait le ventre trop plein et la tête trop légère ; la fête la rendait molle. Elle jeta la pipe de Rowan sur le ventre de son propriétaire en passant devant lui.
Il lui fit un signe de la main sans grande conviction. Elle le laissa à sa somnolence, et s’éclipsa en direction d’une ruelle plus calme, non sans jeter un coup d’œil vers Klov, qui dansait en charmante compagnie. Elle le laissa à ses ébats et, enjambant la chaine qui reliait le corps inconscient d’Halek à un arbre, elle rejoignit Ilfling en monta en selle.
Elle fit avancer sa monture au pas à travers plusieurs rues. Elle s’éloignait des quartiers animés pour rejoindre la partie de la ville que même les célébrations du jubilé ne parvenaient pas à réveiller pendant la nuit : la zone industrielle, pleine d’entrepôts, de remises, et de jardins ouvriers cloisonnés. Elle passa la Strome, et soudain la rumeur lointaine se tut ; mises à part les torches bleues sur les remparts, rien ne pouvait plus laisser présager de l’ambiance festive de Dolenhel.
Elle retrouva Levi sur la plate-forme de liaison qui parcourait l’intérieur des remparts, à mi-hauteur entre les plus hauts toits de la ville et le sommet des murs. Il était debout, l’arc bandé, le regard concentré. Lorsqu’elle s’approcha, il décocha sa flèche, qui se ficha au centre d’un poteau de bois situé à une cinquantaine de mètres. Java était couché près de son maître, mais leva la tête lorsqu’il entendit les sabots d’Ilfling sur la pierre du chemin de ronde.
Il tapota du pied une chope de bière à moitié vide qui racla la pierre du sol avec un bruit cristallin. Freya remarqua qu’il n’avait pas pu s’empêcher de relever machinalement sa capuche en la voyant arriver.
Il décocha une seconde flèche, qui se planta sur un autre poteau, plus loin encore que le précédent. Il se tourna brusquement vers Freya, l’arc baissé.
Son regard s’était fixé sur un point dans la ville. Levi relâcha la tension de son arc et reporta son attention sur sa camarade.
Loin en dessous des remparts, dans la pénombre des murs, une charrette se faufilait dans une ruelle à peine assez large pour la laisser passer. Elle était tirée par un âne, et à la place du conducteur se dessinaient deux silhouettes surmontées de deux chapeaux identiques.
Ils descendirent des remparts ensemble. Freya laissa Ilfling derrière elle, et Java leur emboita le pas sans un bruit. Ils empruntèrent une rue parallèle et rattrapèrent vite l’attelage ; mais lorsqu’un des prêtres aperçut Freya et Levi arriver vers eux à un croisement, il avertit d’un geste son compère et, sans même se laisser le temps de la réflexion, ils sautèrent à terre et s’enfuirent à toute vitesse, laissant derrière eux leur chargement. Freya et Levi eurent à peine le temps de réagir face à la soudaineté de la débandade.
Un de deux fuyards avait lancé un objet rond dans la charrette avant de disparaitre. Il atterrit au milieu du chargement avec un bruit humide, et sans autre signe avant-coureur, la charrette explosa.
Levi eut seulement le temps de se jeter sur Freya pour l’écarter avant qu’une épaisse pluie d’Alfrost pulvérisé ne s’abatte tout autour du véhicule détruit. L’explosion fit geler les pavés sur un diamètre de plusieurs mètres, envoya des morceaux de bois voler aux alentours, et tua sur le coup l’âne qui tirait l’attelage, qui s’écroula à terre, avalé par la glace. Java poussa un rugissement sauvage en s’abritant d’un bond derrière une pile de tonneaux.
Freya et Levi se relevèrent en se débarrassant des morceaux de leurs vêtements qui avaient gelés. Une des manches de Freya tomba à terre et se brisa, dévoilant une marque noire sur son bras, là où le froid avait mordu sa peau. La capuche de Levi lui avait sauvé la vie, absorbant le liquide gelé à la place de son visage.
Freya prit quelques instants à reprendre son souffle. L’attaque avait été soudaine et imprévue.
Elle vit son camarade s’éloigner quelques secondes, puis il disparut dans le silence.
Il ne restait plus grand-chose du chariot, qui était effondré au sol, entouré d’un parterre de glace et de morceaux de bois figés. Un détail cependant attira son regard ; sur un des flancs éventré du véhicule se distinguait encore un insigne peint, constituée d’une croix or et argent sur fond noir dans laquelle se mêlaient les symboles d’Edelyn et Addaltyn. Elska lui avait parlé de cette marque : c’était celle de l’Église du Printemps.
Il ne lui fallut que quelques instants pour retrouver Ilfling et le faire partir au galop à travers la ville. Elle quitta le quartier des entrepôts à toute allure, pénétra dans les quartiers animés par la fête, et, ne prenant pas même le temps d’éviter les foules compactes qui durent se pousser à son approche, se précipita vers le palais. Elle quitta sa monture et courut à travers escaliers et corridors jusqu’à arriver dans l’aile du château où Slen Aarland avait ses quartiers. Cette fois, il devrait s’expliquer.
Mais sa course fut interrompue lorsqu’elle aperçut Vaughan tourner au coin d’un couloir. Elle était presque arrivée aux appartements d’Aarland, mais elle dut se forcer à adopter une démarche moins pressée.
Elle ne voulait pas parler à Vaughan de ses histoires avec Aarland. Il la retiendrait. Il essaierait de la convaincre qu’elle se faisait des idées. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre du temps. Heureusement pour elle, la fée inspiration se pencha sur son cas.
Il ne fit pas plus d’histoire, et s’éloigna dans le couloir de sa démarche raide. Freya marcha tranquillement puis, dès qu’elle eut mis assez de distance entre elle et Vaughan, elle se remit à courir.
Les appartements d’Aarland n’étaient pas gardés. Elle ne s’embarrassa pas avec d’excessives politesses et entra en trombe, claquant la porte sur son passage.
Elle pénétra dans son bureau comme elle l’avait fait la veille. Toutes les bougies étaient éteintes, laissant la pièce dans une pénombre presque complète. Le fauteuil du prêtre tournait toujours le dos à la porte, mais il était là : elle voyait la silhouette de ses coudes, posés comme une ombre sur les côtés de son fauteuil, et son siège laissait entrevoir le bord sombre de son chapeau.
Aucune réponse du prêtre.
Ses questions restèrent une fois de plus sans réponse. Elle s’approcha du fauteuil ; dans la pénombre, le manteau de l’homme au chapeau semblait noir comme la nuit. Elle foula du pied le sable du saedlaeda, troublant son motif parfaitement ordonné. Elle n’y fit pas attention, mais cette fois, il ne se remit pas en place. Le sable resta immobile.
Enfin, elle atteint le côté du fauteuil. Son cœur sauta dans sa poitrine.
Aarland était assis bien droit, et portait toujours ses habits de cérémonie. Mais il était mort : ses yeux blancs fixaient le mur droit devant lui, et sa gorge pâle était tranchée avec une effrayante netteté, laissant couler sur ses vêtements des flots transparents de son sang artificiel. Pour la seconde fois, Aarland était passé de vie à trépas, et cette fois, il ne se relèverait pas.
Le sang de Freya, lui, était bien rouge, et il ne fit qu’un tour ; elle quitta en trombe les appartements d’Aarland et se précipita en direction de la salle du trône. Elle ignorait avec qui se trouvait l’Empereur. Elle ne savait pas qui, mais quelqu’un avait assassiné Aarland. Quelqu’un qu’elle n’avait pas prévu dans ses théories du complot.
Cela pouvait être n’importe qui.
L’écho des portes s’ouvrant brusquement résonna dans la salle du trône. Freya passa entre Lyn et Mars et, les laissant à l’extérieur, s’avança vers le trône.
Près des arches ouvertes sur l’extérieur, une table avait été dressée pour le dîner, mais c’est l’Empereur qui attira son regard. Il se trouvait au centre de la pièce, avec Vaughan.
Vaughan eut pour seule réaction un haussement de sourcil. Samahl Enerland était de nature plus expressive que son Général. Ses doigts se serrèrent sur sa canne et il posa sur Freya un regard empli d’incompréhension.
Elle tourna la tête pour apercevoir les deux silhouettes qui étaient encore assises à table. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’elle distingua Ark et Thorsfeld.
Elle tourna les yeux vers l’Empereur.
Vaughan se tourna vers Ark et Thorsfeld. Il semblait seulement apprendre l’identité des invités de l’Empereur. Il esquissa un mouvement réflexe de sa main vers son épée.
Freya commençait à avoir chaud. Non seulement ses théories s’effondraient bel et bien, mais l’Empereur était maintenant plus en danger que jamais. Et pour couronner le tout, lui et Vaughan étaient maintenant au courant de ses incartades avec Thorsfeld et Ark. Elle sentit une sueur froide lui parcourir le dos.
Elle tentait d’évaluer les risques à toute allure. L’Empereur était presque seul dans cette salle. À part elle, seul Vaughan portait une épée. Il faudrait protéger l’Empereur jusqu’à ce qu’elle rassemble la Garde Impériale. Il ne devrait pas sortir de ses appartements de la nuit, et il fallait au moins doubler… non, tripler la garde. Un instant, il lui vint à l’esprit qu’Ark ou Thorsfeld auraient pu faire tuer Aarland. Seul Ark aurait pu le faire ; mais quel intérêt aurait-il eu à se débarrasser du prêtre ?
Elle fit quelques pas vers le trône. Les ténèbres qui inondaient la vaste pièce lui semblaient soudain hostiles, emplies d’ennemis. Plus un seul recoin du palais n’était sûr.
Un mouvement d’air dans son dos la fit s’interrompre. Elle se retourna juste à temps pour apercevoir un éclair blanc se ruer sur elle. Du coin de l’œil, elle vit la lame s’approcher, trop tard pour pouvoir l’éviter. Au loin, une voix effacée lui criait quelque chose. Elle n’y fit pas attention. Elle ne pouvait voir que cette lame qui se dirigeait vers son ventre et qui, pendant une seconde, constitua l’intégralité de son univers. Une seconde pendant laquelle le temps suspendit son cours. Une seconde seulement. Car l’instant d’après, la lame pénétrait sa peau et s’enfonçait profondément dans sa chair. Elle sentit le froid dans ses entrailles. Elle sentit ses pieds se détacher du sol et son corps tout entier se soulever. Elle partit en arrière, et elle fut projetée sur le trône. La lame transperça son dos et la cloua au dossier du siège.
Trop rapide. Trop soudain. Elle n’avait pas vu d’où provenait l’attaque, ni de qui. Sa vision se floutait et ses muscles ne répondait plus, les ordres de son cerveaux recouverts par le hurlement de la douleur qui se répandait en elle.
Il n’avait fallu qu’un instant.
Lorsque ses sens purent enfin se focaliser sur celui qui l’avait attaqué, elle se sut perdue.
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