Chapitre 4

lettrine horsfeld regarda autour de lui. Il se trouvait au milieu d'une forêt qu'il ne connaissait pas. Il s'était réveillé assis, appuyé contre un arbre, entouré d'une neige poudreuse épaisse qui continuait de tomber lentement autour de lui. Il se leva et tapota ses bras pour en faire tomber les quelques flocons de neige qui s'y étaient aventurés. C'était la nuit, noire et effrayante, mais la silhouette ronde blanchâtre qu'était devenu le soleil, et qu'un habitant de notre monde aurait pris pour la lune, paraissait timidement derrière les nuages en dévoilant les détails du terrain.

Il se regarda. Il n'était pas habillé comme à son habitude ; pas dans le sens où il portait des vêtements différents, mais dans le sens où il était totalement nu. Un froid mordant l'enveloppait : ce froid n'avait rien d'inhabituel à Dromengard. Il ne savait pas où il se trouvait mais dans tous les cas, la majorité du globe était la proie d'un hiver quasiment permanent. Il fut néanmoins surpris ; c'était la première fois qu'il ressentait à ce point la température glaciale de son monde, un froid qu'il supportait naturellement en temps habituel grâce à ses pouvoirs divins. Il tenta de s'habiller ; une pensée aurait suffi, mais il n'y parvint pas. De fait, aucune de ses tentative de faire valeur ses droits divins ne se soldèrent par autre chose qu'un échec.

L'effroi s'empara de lui : il avait perdu ses pouvoirs.

Perdre ses pouvoirs impliquaient non-seulement qu'il n'avait plus rien d'un Dieu, mais aussi et surtout qu'il se retrouvait au même niveau que n'importe quel humain. Il se tenait donc au milieu d'un endroit qu'il ne connaissait pas, nu dans la neige par une température assez négative pour faire geler un thermomètre, et les premiers signes de civilisation pouvaient se trouver, dans le meilleur des cas, à des kilomètres. Et s'il était vraiment malchanceux, il se trouvait dans une des nombreuses parties non-civilisées de Dromengard. Dans ce cas, il pouvait être à des milliers de kilomètres de la moindre vie humaine. Le plaisir de se retrouver enfin dans son monde onirique fit bientôt place à la peur : serait-il seulement capable d'y survivre, cette fois ?

Les choses semblaient mal engagées.

Il posa son regard sur sa poitrine : Au niveau du cœur, sa peau était d'une couleur violacée, formant une énorme cicatrice qui barrait son torse et laissait apercevoir des veines saillantes. La trace d'Edelynenlassja ne s'était pas effacée, au contraire : La blessure mortelle qu'il avait reçu était restée gravée dans sa chair, comme une preuve indélébile de sa chute. Thorsfeld posa la main sur la balafre pour sentir les reliefs qu'elle avait creusée dans sa peau, et détourna son regard.

Le nudisme : à pratiquer de préférence l’été.

Il resta planté là, au milieu des sapins couverts de neige, à regarder l'horizon qu'il ne voyait pas, perdu dans la sombre blancheur de la nuit hivernale. Des questions l'assaillaient : pourquoi se retrouvait-il réduit à l'état de simple humain, subissant les turpitudes de la vie telles que le froid, lui qui avait créé ce monde ? C'était impossible ; mais de toutes façons, qu'il soit mort et ait été banni de son propre monde était, dès le départ, hautement fantaisiste. Il devait y avoir quelque chose ou quelqu'un derrière tout ça ; cette épée qui l'avait tué, celle que portait Freya, quelqu'un avait dû la créer. Il lui semblait ridicule que cette simple gamine ait eu la puissance de créer cette arme. C'était sûrement un concours de circonstance, un coup de chance formidable, qui avait poussé cette jeune fille à trouver l'épée et tuer celui que la lame était destinée à détruire. De la chance, rien de plus. Mais alors, comment ?

Il vint à l'esprit de Thorsfeld que c'était peut-être son monde qui l'avait rejeté. Après tout, sa création n'évoluait-elle pas d'elle-même ? Les choses s'équilibraient naturellement pour permettre un développement logique de Dromengard. Peut-être son monde l'avait-il rejeté pour poursuivre son développement ?

Non, c'était idiot. Il en avait le contrôle total. Tout cela dépassait de loin l'hypothèse qui voulait que Dromengard ne soit qu'un caprice de son imagination.

Il commença à avoir du mal à réfléchir. Cela n'était pas étranger au fait que le froid commençait à l'engourdir de façon inquiétante. S'il restait là, vêtu comme un acteur ayant négligé les petites lignes en bas de son contrat, il allait sans aucun doute mourir de froid, chose à laquelle il se refusait : il n'avait pas retrouvé ses terres des rêves pour les quitter de nouveau juste après, surtout pas en succombant à ce froid glacé qu'il avait tant aimé !

Il se mit donc à marcher. Il parcourut quelques centaines de mètres dans la forêt, ses pieds nus traversant la neige qui lui montait presque jusqu'aux genoux. Bientôt, il finit par ne plus sentir du tout le bas de son corps. Sa peau commençait à tirer vers le bleu et le froid lui était de plus en plus insupportable.

Ses idées devenaient confuses, et une seule d'entre elle semblait encore capable de s'imposer dans son esprit : il lui faudrait un miracle pour survivre.

Il trébucha soudain contre une racine que la neige avait masquée. Il chuta au sol, recouvert par l'étendue blanche. Il eut du mal à surmonter les tremblements compulsifs de son corps pour se relever, et en agrippant une branche qui se cassa brusquement, il glissa sous le coup de la surprise et tomba de nouveau ; sa jambe l'entraina dans une pente, dans laquelle il commença à dégringoler. Par malchance, aucun des sapins parsemant le terrain ne stoppa sa chute, et il continua à rouler, avant de s'arrêter plusieurs mètres en contrebas, presque totalement enfoncé dans une congère. Il retomba plusieurs fois sur ses genoux en tentant de se relever. Le froid avait rendu son corps insensible, mais il savait que si ce n'était pas le cas, les bleus et les écorchures recouvrant ses jambes, ses bras et son torse lui feraient souffrir le martyr.

Il se senti profondément misérable et pathétique. Lui, le Dieu-Roi, autrefois l'entité la plus puissante au monde, n'était plus qu'un humain faible et perdu au milieu de nulle-part. Aucun doute que sa seconde mort serait loin d'avoir la dimension épique de la première.

Il leva la tête, et son regard se perdit de nouveau dans les profondeurs de la forêt, que la neige disputait aux ténèbres. Puis il entendit du bruit.

Ce n'était rien d'alarmant, cependant ; simplement un léger son de glissement qui semblait se rapprocher de lui. Seul le silence cotonneux dans lequel la forêt était plongée lui permit de l'entendre. Il s'aperçut qu'il avait atteint une piste, quelques instants seulement avant d'apercevoir la cause du bruit.

C'était un traineau. Le genre de véhicule servant à transporter des cargaisons sur les pistes enneigées de Dromengard. Ces derniers étaient généralement tirés par des chevaux, mais celui-là était dénué d'animaux de trait. Il se contentait de glisser lentement vers l'endroit où se trouvait Thorsfeld. Pour autant, ce dernier n'osa pas se montrer tout de suite ; comment réagirait le conducteur du traineau, qu'il apercevait à l'avant de l'attelage, si un homme nu et à la peau désormais bleue comme un bloc de glace se montrait face à lui ?

Thorsfeld n'eut jamais la réponse à cette question. Le traineau acheva son mouvement avant-même d'avoir atteint l'endroit où il se tenait, dissimulé dans un buisson de fougères. Il était assez proche pour qu'il puisse voir que le conducteur était mort : sa tête était posée sur son épaule droite, faisant décrire un angle douloureux à son cou, qui était ouvert d'une extrémité à l'autre. Un torrent de sang gelé se perdait aux pieds du malheureux. Lorsque le traineau s'immobilisa en butant sur un caillou, son cadavre tomba en avant dans un craquement sinistre, s'effondrant à terre dans un nuage de poudreuse. La forêt se trouva de nouveau plongée dans le silence.

Thorsfeld resta immobile quelques instants. La scène semblait irréelle ; d'où venait ce traineau ? Qui avait tué son conducteur ? C'était comme une séquence vue à travers un écran de télévision : elle semblait tellement vraie, et pourtant, on aimait à croire que tout était faux. Sauf que ça ne l'était pas. Autre chose de bien réel : Thorsfeld se transformait en statue de glace, chaque seconde un peu plus. Finalement, dans un mouvement aussi pénible que saccadé, il sortit du sous-bois et posa un pied sur la piste enneigée.

La cargaison du traineau était toujours là, à l'arrière du véhicule, mais elle était constituée de coffres solidement scellés. Rien qu'il ne puisse ouvrir dans son état actuel ; s'il tentait de briser une brindille, ses doigts cèderaient avant le bois. Il eut un instant d'hésitation avant s'approcher le cadavre du conducteur. Un instant seulement, car le froid le convainquit bien vite de se baisser pour récupérer les vêtements de l'homme. Le froid les avait lavés de leur odeur – une aubaine –, et ils n'étaient pas tellement souillés par le sang. Pour survivre, de toute façon, Thorsfeld se serait roulé dans une fosse commune. Il enfila les habits. Il lui fallut quelques minutes avant de ressentir la chaleur que la tunique de cuir doublée de fourrure lui procura. Rien n'importait plus, désormais : la chance lui avait souri. Un cadavre tout frais qui venait lui apporter du prêt-à-porter en plein milieu d'une forêt, c'était plus qu'il n'en fallait à tout un chacun pour devenir furieusement religieux. Excepté que Thorsfeld l'était déjà : il croyait en lui-même, avec une ferveur qui tenait de l’extrémisme.

Thorsfeld fouille les cadavres, et leur vole leur stuff.

Il ne trouva pas la clé des coffres dans les vêtements du conducteur. Seulement quelques ardents, la monnaie de l'Empire, et deux lanières de viande séché qu'il avala sans attendre ; il avait une faim de loup. Lorsque leur goût commença à se diffuser dans sa bouche, il se demanda s'il n'avait pas pris des morceaux d'écorce sèche pour de la viande.

La lanterne qui pendouillait toujours à l’avant du traineau s’éteignit soudain, comme soufflée par une force invisible. La lumière hésitant qu’elle projetait sur les arbres disparut, et ces derniers redevinrent partie intégrante des ténèbres dont la forêt était gorgée. Thorsfeld eut un léger sursaut, comme une sueur froide lui parcourant le dos. Il considéra que s’il devait y avoir un signe l’incitant à s’éloigner de cette scène morbide, c’était celui-là. Les environs n'étaient peut-être pas des plus sûrs : généralement, les conducteurs de traineau ne s'égorgeaient pas tous seuls, donc quelqu'un ou quelque chose l'avait fait pour lui. Thorsfeld jugea plus prudent de suivre la piste de loin, restant enfoncé dans les bois la jouxtant.

Il attendit de longues minutes au milieu des sapins, blotti dans un creux qu'offrait le sol, à l'abri du vent, attendant que son corps se réchauffe. Lorsqu'il senti de nouveau ses muscles et que ses blessures commencèrent à répandre une douleur diffuse sur toute la surface de sa peau, il se releva et se remit à marcher, remontant la route dans la direction d’où était venu le traineau : après tout, le véhicule venait bien de quelque part !

Et avec un peu de chance, quelque part de proche…

Les heures passèrent et bientôt le soleil se leva, bien qu'à Dromengard le concept de soleil se levant n'avait aucune signification. L'entité lumineuse qui tenait lieu de soleil dans ce monde variait d'intensité à intervalle régulier, battant le rythme des jours et des nuits.

Thorsfeld marchait toujours. Le besoin de survivre repoussait sa fatigue et lui permettait d'avancer à un rythme lent mais régulier. Il se demandait s'il allait finir par atteindre un village, ou n'importe quel berceau de civilisation. Il n'avait croisé personne en suivant la piste, et il avait été incapable de lire le seul panneau qu'il avait aperçu. Comprendre le langage de Dromengard faisait visiblement parti de ses pouvoirs implicites, et il avait perdu cette capacité.

Il continua donc sa marche pendant une grande partie de la journée.

La faim finit cependant par s'imposer de nouveau à lui, ce qui était, une fois de plus, un sentiment nouveau dont il aurait préféré se passer. La perte de ses pouvoirs était une déconvenue de taille et Thorsfeld, méprisant et vaniteux comme il avait l'habitude de l'être, supportait difficilement de se voir réduit à l'état de créature en proie aux dangers de son propre monde. Sa colère, néanmoins, lui permettait assurément d'avancer plus vite. Une fois de plus, la haine qu'il ressentait lui était utile.

Puis vint un moment où il ne put plus avancer. Ses jambes le faisaient souffrir, son ventre criait famine et ses vêtements commençaient à avoir des difficultés à couper du froid son corps couvert de sueur. Il s'effondra contre une souche d'arbre, située dans un creux du sol, le cachant totalement des yeux d’éventuels prédateurs, animaux ou humains. Il respirait bruyamment, peu habitué à tant d'exercice. Ses yeux se perdirent en contemplant la cime des arbres rejoignant le ciel d'un blanc uniforme, d'où la neige avait depuis peu cessé de tomber.

Il avait été sauvé par le destin en trouvant les habits du conducteur de traîneau. Si son monde avait tant voulu ne jamais le revoir, il n'aurait pas permis son retour, et surtout, il n'aurait pas envoyé ce cadeau du ciel pour le sauver. C'était rassurant, dans un sens.

Toujours était-il que dans son état de fatigue et de faim, il aurait du mal à continuer d'avancer, et il ne savait toujours pas s'il marchait vers un endroit habité, ou si au contraire il s'en éloignait.

L'intensité lumineuse délivrée par le soleil commença à baisser. Thorsfeld resta un temps certain affalé contre sa souche, les yeux dans le vide. Il finit par se laisser sombrer dans le sommeil, incapable de bouger le moindre muscle.

Il se réveilla dans le monde réel, sur son canapé. La faim le tiraillait moins, et il se sentait totalement reposé par sa longue nuit. Il regarda son réveil : Il était trois heures du matin. Il avait dormi quasiment quatorze heures. Il ne se sentait pas le courage de retourner à Dromengard, où il avait laissé un corps exténué et mourant de faim, et de toute façon, il était trop peu fatigué pour y parvenir. Il se fit la remarque que sa capacité à faire avancer plus rapidement le temps de Dromengard avait logiquement disparu avec ses pouvoirs : Le temps du monde onirique et celui du monde réel semblaient maintenant parfaitement synchronisés. Il n'était donc pas prêt de revoir une nuit, dans aucun des deux mondes.

Il décida de manger un morceau en attendant l'heure de partir travailler.

Erik pensait que, peut-être, manger dans le monde réel le rassasierait dans le monde onirique, au moins un peu.

Il se trompait.

Lorsqu'il retourna à Dromengard, le soir, après une journée d'une banalité affligeante au travail où il avait tenu son rôle avec bien plus de facilité que les jours précédents, le jour se levait, timidement, et son estomac était toujours aussi vide. Il était glacé, et une fine couche de neige le recouvrait. Il n'osait pas toucher sa peau, insensibilisée par le froid, de peur de la briser. Il eut du mal à se relever.

C'était maintenant clair : s'il ne trouvait pas à manger dans les prochaines heures, il n'aurait plus la force de bouger, et même une nuit de sommeil ne pourrait rien y faire. Il fallait absolument qu'il se nourrisse, mais il ne savait pas comment. Chasser ? Il n'avait aucune idée de la marche à suivre, et il n'avait de toute façon croisé aucune vie animale la veille, aussi incroyable que cela pouvait sembler dans ces bois touffus.

Il prit soudain conscience que cette forêt était anormalement calme. La rage et la fatigue ne lui avaient pas donné le loisir de s'en apercevoir la veille, mais la réalité lui apparaissait maintenant clairement : c'était comme si ces bois étaient dénué de toute vie, en proie au silence le plus total. Pas le genre de silence éthéré que provoque la neige, ni le silence angoissant de la nuit. Non, c'était un silence blanc, total, un néant sonore qui donnait à la forêt une ambiance surnaturelle. Thorsfeld utilisa les quelques forces qui lui restaient pour avancer. Quitter la forêt lui semblait plus vital que jamais.

Il aperçut soudain un élément qui attira son œil.

Un traîneau. Encore.

Il se demanda brièvement si ce n'était pas le même traîneau. Après tout celui-ci semblait, du moins de loin, identique au premier. Même forme, même sculpture de bois peintes sur les flancs, et visiblement tout aussi abandonné. Mais c'était impossible : Il avait scrupuleusement suivi la piste depuis la veille, la seule solution serait donc que cette dernière tourne en rond, mais c'eût été stupide.

En s'approchant, Thorsfeld eut l'hideuse confirmation que ce traîneau n'était pas le même que celui de la veille : Autour de celui-ci gisaient une bonne demi-douzaine de cadavres, les bras en croix, certains la face enfoncée dans la neige, d'autre tournés vers le ciel, affichant une expression de terreur que le froid avait conservée intacte. Et cette fois, les chevaux étaient là, eux aussi, gisant dans leur propre sang que le temps avait rendu noir.

Tous présentaient la même blessure mortelle que l'homme auquel Thorsfeld avait pris ses vêtements : Le cou arraché, le reste du corps couvert de sang. Une telle constance avait quelque chose d'effrayant. Cette nouvelle scène de carnage faisait se dérouler devant les yeux de Thorsfeld un scénario terrifiant. Un convoi de traineaux était attaqué. La mort s’abattait dans tous les sens, ne laissant aucune chance ni aux passagers, ni aux montures. Un des traineaux parvenait à s’échapper, à bride abattue. Il fonçait à toute allure à travers la forêt, avec l’espoir fou d’échapper à cette écrasante menace. Et finalement, son destin le rattrapait, et il finissait sa course chargé d’un cadavre supplémentaire, là où Thorsfeld l’avait trouvé plus tôt. Pas un survivant. Pas une trace des meurtriers, et la forêt pour seul témoin.

Le malheur des uns fait cependant le bonheur de Thorsfeld, et cette fois plus que jamais cela se vérifiait, littéralement : ce dernier aperçut diverses victuailles éparpillées au sol près des cadavres. Il tria rapidement celles qui semblaient encore consommables de celles qui étaient pourries ou souillées de sang et emporta ainsi trois morceaux de pain et quelques fruits confits dans un vieux sac que l'un des cadavres tenait encore fermement dans la main. Conscient que rester près des morts et de leur traîneau n'était peut-être pas très sage, il s'éloigna de nouveau de la piste, un peu plus cette fois-ci, et trouva un endroit bien dissimulé pour manger son butin.

La chance lui avait de nouveau souri. Mais pendant combien de temps encore ?

Alors qu'il se recroquevillait sur lui-même afin de réchauffer la nourriture gelée qu'il avait placé entre sa tunique et son torse, il réfléchit à l'allure des cadavres. Cela n'avait aucun sens. Il avait tout d'abord pensé à des bandits, comme on pouvait souvent en croiser à Dromengard : beaucoup de convois de traîneaux achetaient les services de mercenaires pour s'en protéger. Cependant, les cargaisons n’avaient pas été emportées, et il avait trouvé quelques piécettes au fond des poches du manteau qu'il avait récupéré. Des bandits auraient sûrement au moins pris la peine de le fouiller. Plus encore, c'étaient les blessures des cadavres qui l'intriguaient : Toutes les mêmes, au niveau du cou, et surtout, le genre de blessure qu'aucune arme n'était capable de causer. Cela ressemblait plutôt à des crocs, ou des griffes massives, peut-être ? Les traîneaux et leurs occupants auraient tout à fait pu être attaqués par des bêtes sauvages, mais quel genre de bête se contenterait de tuer les voyageurs sans même prêter attention à la nourriture tombée au sol ? De plus, cela allait à l'encontre du silence total dans lequel la forêt entière régnait. Le mystère était total. Thorsfeld commençait à se fatiguer de ces interrogations.

Il consomma une grande partie de ses victuailles, en mangeant lentement et précautionneusement pour ne pas se casser les dents contre la nourriture gelée ; gardant un morceau de pain pour plus tard, il se releva et se remit à marcher. Il était toujours vital de trouver un village au plus vite, surtout avec d'éventuels brigands/bêtes sauvages/monstres dans les parages.

Il marcha de nouveau la journée entière. Quand le soleil commença à ressembler à la lune, il se résolut à trouver de nouveau un endroit où dormir, avant d'apercevoir une lumière au-dessus de la cime des arbres. Avec mille précautions, il s'approcha de sa source et, détournant une branche qui cachait sa vue, il put enfin contempler ce qu'il attendait tant.

Une ville se dressait à quelques centaines de mètres de lui, imposante, entourée d'épais remparts généreusement éclairés par de massifs braséros.

Il resta planté là longtemps à la contempler, heureux et soulagé à la fois. Son immobilisme fut interrompu par un son de cloche répété : Le signal de la fermeture des portes de la ville. Il se mit à courir dans la neige pour ne pas être enfermé dehors.

Il était sauvé.

Ne jamais rester à l’extérieur de la ville pendant la nuit : c’est là que les Stalhounds apparaissent.

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