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Chapitre 41
Entre deux cieux

S’il y avait bien un endroit à Dolenhel où les festivités du jubilé prenaient une tournure somptueuse, c’était au palais Impérial. La réception qui y était donnée chaque année était probablement le plus gros rassemblement du gratin Dolenhelys qui soit, et nombreux étaient les petits nobles, les notables et les membres de la bourgeoisie qui se battaient pour être invités à ce dîner au sommet du luxe. La plaisanterie qui disait que ceux-ci commençaient la bataille dès que le dernier feu du jubilé de l’année précédente s’était éteint avait depuis longtemps cessé d’être drôle, à mesure qu’elle était rattrapée par la réalité. Cette année n’avait pas fait exception, du moins pour ce qui était du début de soirée ; la suite avait été, de l’avis général, nettement moins festive.

Elska Hyaland était assise au milieu de la grande salle de réception, entourée de tables encore couvertes de victuailles et de décorations, qui avaient soudain été abandonnées lorsque la bataille s’était déclarée. Désormais, les dizaines de personnes qui avaient pris place autour de ces tables en début de soirée étaient rivées aux fenêtres, observant la bataille de loin avec un intérêt fébrile. La jeune prêtresse d’Edelyn, elle, était incapable de regarder les ténèbres dévorer la ville et les hordes de créatures déferler au-dessus des remparts sans perdre connaissance. Il avait déjà fallu la réanimer trois fois, et désormais, un de ses seconds agitait un éventail près de son visage avec un air soucieux.

La lumière tamisée qui baignait la salle avait cessée de diffuser sa douce ambiance, et donnait désormais à l’endroit une apparence glauque, en éclairant faiblement les assiettes abandonnées et les chaises renversées dans la panique. Elska entendait les convives discuter au loin ; ils semblaient craindre d’élever la voix, comme si cela pouvait attirer les Ombergeists. En résultats, l’air était alourdi de ces chuchotements indistincts qui rendaient la scène encore plus apocalyptique. Pour beaucoup, voir Dolenhel tomber ainsi revenait à contempler la fin du monde.

Elska faillit crier lorsqu’elle vit une silhouette sombre apparaitre derrière les carreaux d’une fenêtre, dans un coin sombre de la salle. Elle se retint en reconnaissant Levi Eeland, qui poussa la fenêtre et sauta à l’intérieur avec agilité, suivi de son tigre blanc. Le garde Impérial lança un coup d’œil à la foule amassée près des grandes fenêtres, à l’autre bout de la salle, puis il regarda en direction d’Elska. Il choisit d’aborder le groupe le plus réduit.

  • Est-ce que tout va bien ? demanda-t-il en direction de la jeune prêtresse, se félicitant intérieurement pour cette première réplique bien choisie.
  • J’imagine que oui, répondit Elska. Oh, par Edelyn, Levironos, qu’est-il arrivé à votre jambe ?
  • Un… Ombergeist m’a… balbutia-t-il, en cherchant ses mots. Un Ombergeist m’a… m’a attaqué. Ce n’est pas grave.
  • Asseyez-vous donc, lui lança-t-elle. Oelskin, auriez-vous l’obligeance d’aller chercher des bandages dans mes appartements ?

Le prêtre qui était occupé à brasser de l’air replia son éventail et se mit à courir vers la porte. Java le regarda partir avec intérêt.

Elska fit s’asseoir Levi à côté d’elle ; elle fit semblant de ne pas entendre ses protestation hésitantes (« Je ne suis pas venu m’asseoir… Désolé… Non, je… Je dois… D’accord, très bien. »). Se trouver assis si près de quelqu’un qu’il ne connaissait guère, qui de plus était une représentante de l’autre sexe, et qui se trouvait être – entre toutes ! – Elska Hyaland, était plus que Levi pouvait accepter dans sa zone de confort. Il releva sa capuche machinalement, et laissa Elska examiner sa blessure ; il en serait presque venu à regretter d’avoir abordé la prêtresse plutôt que le reste des convives, tant il se sentait mal à l’aise. Rowan et Halek n’auraient pas hésités à se moquer de lui, s’ils le voyaient.

S’il y avait une chose qui faisant flancher beaucoup de monde sauf Elska – et ces choses étaient rares –, c’était la vue du sang. Malgré cela, elle ne put s’empêcher une moue dégoûtée en posant les yeux sur la chair arraché de la cuisse de Levi. La peau semblait avoir été fendue en deux par une scie rouillée et mal affutée, et par endroit, l’os était à découvert. Rien que d’imaginer le jeune homme en train de courir avec une telle blessure lui donnait des vertiges.

  • Comment se passe la bataille ? demanda-t-elle, se félicitant intérieurement pour ce sujet de conversation bien choisi.
  • C’est vraiment… commença-t-il, cherchant dans les tréfonds de son cerveau pour trouver le mot approprié, le vocabulaire adéquat. C’est vraiment… moche. (« Bon sang ! »)
  • Oh.
  • Je veux dire, c’est très difficile. Les Ombergeists sont trop puissants. Mais… mais ça va bien se passer.

Il avait dit tout cela très vite. Trop vite. Il s’en voulait d’avoir l’air aussi immature lorsqu’il prenait la parole ; s’il avait eu l’éloquence de Vaughan, il n’aurait aucun mal à rassurer Elska, ainsi que le reste des invités de l’Empereur. Au lieu de cela, il était assis au milieu de la salle, impuissant et tenu en respect par la jeune fille la plus frêle de Dolenhel. Sa fierté de Garde Impérial en prenait un coup.

  • Je dois y aller, dit-il en saisissant son arc – renversant au passage deux verres et un chandelier qui avaient le malheur de se trouver là où il avait posé son arme. Je devais seulement m’assurer que tout le monde était en sécurité ici. Je ne devrais pas m’attarder.
  • Avec cette blessure ? C’est de la folie !
  • C’est sans gravité. Enfin, si, c’est grave, mais… Non, je dois… (« Bordel, Levi, reprends-toi, mon vieux ! ») Je dois partir. Restez en sécurité ici. Java, en avant !

Le tigre délaissa l’assiette qu’il avait entrepris de vider, et rejoignit son maître, qui commençait déjà à repartir vers la fenêtre par laquelle il était rentré.

Elska esquissa un geste pour le retenir, mais elle fut interrompue par un bruit sourd qui résonna à travers les murs du palais, et qui la fit sursauter. Levi et Java se retournèrent. Les convives qui étaient attroupés près des fenêtres cessèrent leurs chuchotements.

  • Ça venait de l’intérieur du château, murmura Levi.
  • Les Ombergeists seraient-ils rentrés ? souffla Elska, le visage plus pâle encore qu’à l’accoutumée.
  • Impossible. Nous les aurions entendus pénétrer dans la galerie extérieure.

Il était de nouveau concentré sur le combat, les sens en alerte, les mains prêtes à se servir de ses armes. Du jeune homme timide et maladroit, il ne restait plus rien.

Il se passa quelques instants pendant lesquels la salle de réception fut plongée dans le silence, mise à part la rumeur lointaine de la bataille. Puis un bruit de pas se fit entendre. Il semblait faire vibrer tous les murs du palais, et chacun pouvait l’entendre comme s’ils se trouvaient juste à côté de sa source. Un son métallique, puissant, comme celui que produirait un soleret en heurtant le sol. Et ce bruit devenait de plus en plus audible, à mesure que les pieds qui le produisaient se rapprochaient.

Levi sentit un froid glacé attaquer sa peau. L’air de la salle de réception était de plus en plus gelé, comme si toutes les fenêtres avaient été ouvertes. Mais elles étaient toujours solidement fermées. Elska tremblait de froid. D’un regard, Levi constata que l’eau et le vin contenu dans les verres à côté de lui commençaient à geler ; leur surface blanchissait à vue d’œil, se couvrant d’une croute cristalline qui rendait leurs couleurs troubles.

Le bruit de pas était devenu assourdissant lorsque la grande porte de la salle s’ouvrit d’un coup, comme si elle avait été poussée par un géant. Ses battants heurtèrent bruyamment les murs, jusqu’au plafond de la pièce.

Tout le monde sut de qui il s’agissait avant même d’avoir pu poser les yeux sur celui qui se trouvait dans l’encadrement de la porte. C’était comme une évidence, comme s’ils avaient toujours su. Aucun d’eux ne fut surpris, ni ne douta de ce qui venait d’apparaitre sous leurs yeux ; c’était un sentiment étrange, oublié depuis longtemps, un mélange de terreur et d’adoration. Ils restèrent tous figés, paralysés par l’effroi, devenus témoins de l’apparition du plus terrifiant des spectres.

  • Bonsoir, Dolenhel, tonna Thorsfeld d’une voix qui se répercuta en écho dans tout le palais. Devinez qui est de retour ?

Il se tenait au milieu de l’encadrement de la porte, surélevé par rapport aux convives par quelques marches. Il portait son armure d’ombre et de lumière, brillante comme au premier jour, et sa cape flottait derrière lui, comme portée par un vent qui n’existait pas, son extrémité se perdant dans les limbes. Ils virent tous la couronne dorée qui ceignait son front, et chacun d’eux, à cet instant, se sentit terriblement stupide d’avoir osé penser que le Dieu-Roi puisse être mort.

Thorsfeld se mit à avancer, descendant les marches lentement, embrassant la salle d’un regard que personne n’osait croiser.

  • À genoux, ordonna-t-il.

Il n’eut pas besoin d’utiliser ses pouvoirs. Un à un, chaque convive se mit à genoux face à lui. Thorsfeld possédait une conscience aigüe de son environnement, et il sentait leur peur. Rien n’aurait pu lui faire plus plaisir.

Levi et Java s’étaient rapprochés de lui discrètement, suivis par Elska qui ne refusait de se séparer d’eux. Levi tira une flèche de sa ceinture, et banda son arc en direction de Thorsfeld. Java regardait le Dieu-Roi avec des yeux féroces et un grondement puissant dans la gorge. Le Dieu-Roi tourna la tête vers eux.

  • Eh, tu ne vois pas que je suis occupé ?

Et soudain, Levi se vit en train de décocher sa flèche, qui se désintégra en l’air. Il vit le Dieu-Roi lever la main, et sentit ses os éclater, traverser sa chair, et son sang quitter ses veines. Il se sentit mourir et tomber à terre. Il se vit disparaitre dans le néant.

Lorsque sa vision s’interrompit, il s’aperçut qu’il avait baissé son arme, et que ses bras tremblaient comme jamais. De grosses gouttes de sueur ruisselaient sur son visage, et il ne pouvait plus regarder dans la direction du Dieu-Roi. Il sentit la main d’Elska serrer son bras, comme on s’accroche au bastingage d’un bateau pris dans la tempête.

  • Eh oui, l’ami, tout le monde n’est pas Freya, reprit Thorsfeld. Bien, une dernière chose avant que je vous laisse vaquer à vos occupations. Je vous rends votre Empereur. J’espère qu’il était encore sous garantie.

Par la pensée, il alla chercher Samahl Enerland, qu’il avait laissé dans la pièce précédente. La statue de glace qu’était devenu l’Empereur vola dans les airs, suivie par une trainée de vapeur d’Alfrost, puis se posa sur le sol avec un bruit sec.

Tous les regards se posèrent sur le cadavre pétrifié d’Enerland. Puis Thorsfeld vit la réalisation de la mort de leur Empereur se graver sur tous les visages ; certains restèrent prostrés, d’autres poussèrent de silencieuses lamentations, et beaucoup écrasèrent leur visage au sol pour implorer la merci de ce Dieu tout puissant qui avait transformé en glace l’homme le plus puissant de Dromengard.

  • Non ! cria Levi, les larmes aux yeux.
  • Allez, remettez-vous, vous en trouverez un autre, fit Thorsfeld avec sur le visage un air satisfait. J’ai cru comprendre que vous étiez amateurs de statues, ici ; posez-le dans un coin, ça décorera.

Levi dut retenir Elska, que ses jambes ne portaient plus. Thorsfeld ouvrit la seconde porte de la salle d’un geste de la main, et se dirigea dans le hall principal du palais, en direction de l’extérieur.

  • Je vous quitte, lança-t-il. J’ai beaucoup à faire dans ces rues que vous évitez. Une nouvelle à annoncer, et des comptes à régler.

Et sur ces mots, il quitta la salle de réception.

Lorsque Thorsfeld se trouva à l’extérieur, il fut accueilli par le froid glacial, le ciel dégagé où brillaient les lumières des villes de Dromengard comme autant d’étoiles, et la clameur de la bataille. L’air exhalait une odeur de sang et d’acier qui le prirent au nez. Quelques poches de résistance se battaient encore autour du palais, mais le reste de la ville appartenait aux Ombergeists ; il sentait leur présence avec précision, comme des taches noires sur un canevas blanc.

Il s’avança, et aperçut au loin un dragon blanc s’élever dans les airs, pour mieux fondre de nouveau vers le sol en hurlant. Le soleil nocturne donnait à l’animal un reflet fantomatique, qui contrastait avec la couleur bleue sombre du ciel. Thorsfeld eut un sourire en apercevant le dragon : Ark avait réussi. Le plan de Samahl Enerland avait été ralenti, juste ce qu’il fallait pour qu’il ait le temps de revenir. Les soldats se battaient toujours, et Freya avec eux, il le savait. Rien n’aurait pu entamer sa conviction que la jeune fille était encore vivante. Il avait encore besoin d’elle.

Il se mit en marche, descendit le monumental escalier du palais, et posa les pieds sur la place qui entourait ce dernier. Puis il continua de marcher, en ligne droite, s’engageant dans la première rue qui se présenta à lui.

Dans la ville, le froid se fit plus intense, plus mordant. Des tonneaux remplis d’eau explosèrent lorsque leur contenu gela. Cette vague de froid se propagea jusqu’à la cité souterraine. Au-delà de ce signe visible du retour du Dieu-Roi, tous les survivants de la bataille étaient assaillis par le même sentiment qui s’était emparé de ceux qui étaient restés cloitrés au palais : un pressentiment inquiétant, oublié depuis longtemps, tel un instinct qui se manifestait après être resté endormi pendant des années. La plupart prirent cela pour la manifestation de la terreur que leur inspiraient les Ombergeists. Mais lorsque Thorsfeld prit la parole, et que sa voix s’éleva dans chaque recoin de la capitale, ils surent qu’Il était revenu.

  • Bonsoir, Dolenhel, dit-il une nouvelle fois, d’une voix posée qui fut entendue par chaque oreille à la surface ou dans les souterrains. Je suis de retour parmi vous.

Personne n’avait besoin d’avoir déjà entendu sa voix pour la connaitre. C’était quelque chose d’ancré profondément dans la conscience de tous ceux qui foulaient les terres de Dromengard, une connaissance universelle : la voix de leur maître.

Freya abattit un dernier Ombergeist, puis elle se tourna vers l’endroit d’où venait la voix de Thorsfeld. Elle ferma les yeux en comprenant que le temps était venu. Il était revenu, comme il l’avait promis. Ark se tourna vers elle ; il resta silencieux.

  • Vous m’avez crus mort, continua le Dieu-Roi, vaincu il y a six ans par une gamine et son épée. Je suis revenu pour vous apprendre votre erreur. Un Dieu ne meurt pas, et il n’oublie jamais.

Il continuait de marcher à travers la ville. Les rues étaient emplies d’Ombergeists, qui repérèrent le Dieu-Roi avec leurs yeux morts. Ils se jetèrent sur lui en nuées entières. Il ne chercha pas à les éviter, et ne changea pas son rythme de marche ; il les accueillit les bras ouverts, alors qu’ils fondaient sur lui dans un silence mortel. Les monstres ne connaissaient pas la douleur, aussi ne sentirent-ils pas leurs morceaux d’Ambre des Dieux vibrer en eux ; l’Ambre explosa lorsqu’ils s’approchèrent de Thorsfeld, faisant disparaitre des dizaines d’Ombergeists en un instant, fauchés dans des gerbes de lumière qui inondèrent le sol et les murs autour d’eux. Il en vint d’autres vagues, qui furent réduits à néant de la même façon. Bientôt, les abominations commencèrent à comprendre la puissance qui se trouvait face à eux. Ils n’avaient pas encore assez évolué pour tuer un Dieu. Alors ils arrêtèrent de s’attaquer à lui, se repliant dans les ombres, laissant le Dieu-Roi marcher librement dans la ville.

  • Vous avez été braves, humains, reprit Thorsfeld. Vous vous êtes battu contre cette Armée du Silence, et vous avez survécu. Bravo. Vous avez mon admiration. Comme vous avez mon admiration pour avoir triomphé de moi, il y a six ans. Mon admiration, mais pas mon pardon. Il est donc temps de payer vos dettes.

Il atteignit une large place, toute entourée de hautes façades. Six rues y débouchaient ; toutes étaient plongées dans les ténèbres, et grouillaient des sillons lumineux qui couvraient les Ombergeists, et qui bougeaient, semblables à des veines détachées de leur corps. Thorsfeld sentait les milliers de vies qui étaient entassées en dessous de ses pieds, au loin, dans la cité souterraine ; tous l’entendaient, il le savait, et tous avaient conscience de sa présence au-dessus d’eux. Ils n’avaient pas besoin de voir le Dieu-Roi pour savoir précisément où il se trouvait.

Au centre de la place se trouvait une fontaine colossale dont l’eau avait gelée, surplombée par une statue de Freya à cheval, moulée dans le bronze. Elle brandissait Edelynenlassja vers le ciel, et son regard métallique était dirigé vers le Sud-Ouest, dans la direction de Dole-Halsring. Thorsfeld le savait, les Dolenhelys avaient fondu une statue de lui pour la remplacer par celle de leur héroïne lorsqu’elle l’avait vaincu.

Il sauta en direction de la statue ; l’air sembla s’amasser sous lui afin de le faire voler. Bon sang, qu’est-ce que c’était bon ! Pourquoi ne l’avait-il pas plus fait, avant, lorsqu’il était encore maître de ses pouvoirs ? Il atterrit sur le bord du piédestal, et posa son regard sur la représentation de bronze. Il lui manquait sa cicatrice ; il la creusa du bout du doigt, laissant sur l’œil de Freya un sillon de métal rougi. Puis il poussa un bon coup sur la sculpture, et son socle se désolidarisa du piédestal, arrachant la pierre qui le constituait. Avec un vacarme métallique assourdissant, la statue tomba au sol, où elle s’immobilisa. Thorsfeld prit sa place.

  • Première chose, dit-il : votre Empereur, Samahl Enerland, n’est plus. Je l’ai tué moi-même. Je vous ai laissé un petit souvenir de sa personne ; évitez de le conserver trop près d’un feu, néanmoins.

Il sentit le déchirement que provoquait cette nouvelle dans le cœur des Dolenhelys. « C’est ça, pensa-t-il, plaignez-le ! Pleurez votre bourreau, le créateur des Ombergeists. C’était un putain de génie ! »

  • Et maintenant, chers habitants de Dromengard, voilà la prochaine activité de la soirée : je vais attendre ici, jusqu’à ce que Freya Helland se présente face à moi. C’est exact, Freya, je sais très bien que tu es toujours vivante ! Viens me faire face de nouveau, et voyons qui de nous deux aura les faveurs du destin, cette fois. Voilà un petit quelque chose pour te motiver.

Il leva un bras vers le ciel, ouvrant la paume en direction de l’astre solaire. Les nuages qui avaient désertés Dolenhel lors l’attaque des Ombergeist réapparurent, comme poussés par des vents furieux. Ils bougèrent à une vitesse folle, recouvrant le ciel en quelques instants, se mêlant en un écran sombre qui obstrua la lumière céleste. Puis ils se mirent à tourner sur eux-mêmes, formant une gigantesque spirale au-dessus de la capitale Impériale, avant de s’ouvrir au centre de la perturbation en un trou béant, tel un œil titanesque se dessinant dans les nuages et posant son regard sur la ville en contrebas. Une lueur blanche émanait du puits de nuées, comme une large colonne lumineuse qui semblait couler d’une blessure béante sur la surface du ciel.

Les soldats survivants qui se trouvaient encore à l’extérieur des souterrains regardèrent la lumière qui pleuvait sur Dolenhel. Même ceux qui s’étaient réfugiés dans les souterrains levèrent les yeux vers le ciel, instinctivement. Encore une fois, personne n’avait besoin d’en avoir déjà fait l’expérience pour reconnaitre le châtiment de Thorsfeld.

Gudenlyn. La Foudre du Dieu-Roi, la Lumière Divine, le Fléau d’Enerion. La manifestation ultime de la rancune de Thorsfeld, qui avait détruit des continents et réduit des royaumes en poussière. S’il restait à certain un peu d’espoir après le combat contre l’Armée du Silence, il fut prestement abandonné.

Les Ombergeists, qui jusque-là n’avaient jamais partagé la peur qui hantait les humains, semblèrent comprendre ce qui les attendait. Aussitôt que la lumière de Gudenlyn eut touché les toits de Dolenhel, ils battirent en retraite. Les hordes de créatures sombres qui grouillaient dans chaque rue, dans chaque recoin de la capitale, prirent la fuite au même instant. C’est une vague compacte de monstres qui submergea de nouveau les remparts, quittant la ville à toute vitesse. Les artères de la cité Impériale se vidèrent de leurs abominables occupants, qui ne laissèrent derrière eux que des cadavres et des ruines, embaumés d’une odeur tenace de champ de bataille pourrissant.

Le Dieu-Roi était désormais seul au milieu de la place. La lumière brute de Gudenlyn donnait à l’endroit une atmosphère éthérée, floue, comme abandonnée entre deux temps.

  • Freya Helland ! reprit Thorsfeld. Tu as le choix : viens à moi, ou regarde Dolenhel devenir poussière. Tu n’oserais pas vider de son sens le sacrifice des Dolenhelys, n’est-ce pas ? Je t’attends ici, Freya. Ne met pas ma patience à l’épreuve.

Dans un autre quartier de la ville, Freya rangea Edelynenlassja dans son fourreau, et se mit à marcher. La rue était désormais vide d’Ombergeists, qui avaient tous fui par-delà les remparts. Ilfling apparut sans qu’elle ait besoin de l’appeler, et s’arrêta près d’elle. Sans un mot, sans montrer le début d’une émotion, elle monta en selle.

  • Alors ça y est ? lui demanda Ark. C’est terminé ?
  • Ça le sera bientôt, répondit-elle d’une voix éteinte. Merci pour tout, Ark.

Elle lui tendit la main. Il la serra.

  • Ce fut un plaisir, lui dit le Prince. Dans l’ensemble.

Elle talonna les flancs de sa monture, qui se mit en mouvement, se dirigeant au pas vers l’endroit de la ville où Thorsfeld se trouvait.

Le Dieu-Roi se trouvait à près d’un kilomètre d’elle, mais le trajet ne lui sembla pas durer plus de quelques secondes. La capitale, qui était auparavant nimbée de ténèbres, était désormais éclairée par la lumière crue de Gudenlyn, qui dévoilait la profondeur de chaque rue, de chaque artère, qui grouillaient quelques minutes auparavant de créatures mortelles.

Les rues se remplirent de nouveau. Les soldats survivants se rassemblaient autour de la place où Thorsfeld l’attendait. Ils avaient abandonné les barricades de la cité souterraine, et se massaient dans les artères de la ville. Beaucoup de civils les avaient suivis, trop curieux pour rester enfermés dans les grottes. En quelques minutes, une foule compacte se déversait dans les avenues et les ruelles, regardant passer Freya en silence, s’écartant sur son passage. Elle aperçut Halek, au loin ; il était monté sur un cheval, tirant une charrette dans laquelle était assis Rowan. Elle croisa Mars, dont le manteau avait été réduit en lambeaux. Il tenait Lyn allongée dans ses bras ; le regard de la jeune fille semblait combattre la lourdeur de ses paupières pour ne pas lâcher la vision de Freya traversant la foule, qui ressemblait désormais à une mer d’huile s’écartant pour laisser passer Ilfling et sa cavalière.

Juste avant de pénétrer sur la place où Thorsfeld attendait, elle fut arrêtée. Quelqu’un devant elle refusa de s’écarter.

  • Tu n’as pas besoin de faire cela, lui dit Vaughan avec un air d’appréhension qu’elle ne l’avait jamais vu afficher. Tu ne lui dois rien.
  • Non. Je ne lui dois rien, répondit-elle.
  • Tu ne lui a rien promis.
  • Je ne lui ai rien promis. Mais je sais ce dont il est capable. Tu le sais comme moi. Je ne laisserai pas Dolenhel devenir le nouvel Altwyn Enerland.

Vaughan dirigea son regard vers le sol. Freya sauta à terre et le prit dans ses bras.

  • Ça va bien se passer, murmura-t-elle. Comme toujours.

Puis elle brisa son étreinte. C’était trop court, trop peu ; elle aurait voulu dire à Vaughan qu’elle ne voulait pas partir, lui faire comprendre à quel point elle lui était reconnaissante pour tout ce qu’il avait fait, depuis ce jour où ils s’étaient rencontrés. Elle aurait voulu trouver les mots et avoir un peu plus de temps pour les lui dire. Mais elle n’avait ni les mots, ni le temps.

Elle se dirigea son regard vers Thorsfeld, toujours perché sur le piédestal où s’élevait, autrefois, sa propre statue. La foule s’écarta pour la laisser passer.

Elle pénétra sur la place, devenant le centre d’attention de centaines d’yeux. Thorsfeld remarqua sa présence ; il redescendit au sol lentement, comme tombant au ralenti. Ses pieds touchèrent les pavés avec douceur. Sur le visage du Dieu-Roi, tout sourire avait disparu.

Freya s’avança. Elle parcourut ses épaules des mains, défaisant les attaches et les liens qui tenaient son armure en place. Ses épaulières tombèrent au sol avec un bruit métallique, qui résonna dans la place immergée dans le silence. Son plastron les rejoignit bientôt, ainsi que ses gantelets, son gorgerin, ses grèves, et le reste de son armure arrachée et rendue méconnaissable par les assauts répétés des Ombergeists. Lorsqu’elle se trouva face à face avec Thorsfeld, elle ne portait plus que sa tunique militaire, et Edelynenlassja, qui n’avait pas quittée son fourreau.

  • Enfin, fit Thorsfeld.

Cette fois, sa voix ne retentit pas dans toute la ville. Seule Freya put l’entendre. La population s’était rassemblée autour de la place, retenant son souffle sans oser faire un seul pas pour pénétrer dans cette arène que Thorsfeld avait choisie. Avec un bruit sourd, le dragon blanc se posa sur un toit élevé, à l’entrée d’une rue. Ark était accroché sur le dos de la bête.

Puis Freya releva la tête. Elle posa son regard sur Thorsfeld, et soudain se produisit quelque chose qui la surprit elle-même.

Elle sourit.

Elle ne put s’en empêcher en voyant Thorsfeld. Il avait l’apparence et la carrure qui étaient siennes lorsqu’il était encore le Dieu-Roi. Il avait la couronne, et la prestance. Mais il n’avait pas le pouvoir. Son œil rouge le lui montrait, aussi clairement que le jour, net comme un tache de sang sur la neige : Thorsfeld n’avait presque plus aucune puissance. La force vitale qui l’enveloppait semblait ridiculement faible. Personne ne le voyait, mais elle, elle le savait, grâce à l’œil que le Dieu-Roi lui avait offert : il tirait sur ses dernières réserves.

Thorsfeld eut une grimace agacée.

  • Qu’est-ce qui te fait rire ? lança-t-il.
  • Toi.

Il prit une longue inspiration, sans la lâcher du regard.

  • On va voir ça, souffla-t-il.

D’un geste, il envoya un onde destructrice en direction de Freya : le sol fut éventré par la force de l’attaque, envoyant des pavés voler en tous sens. Freya évita l’attaque, et dégaina Edelynenlassja.

Elle se jeta vers lui, esquivant chacune de ses offensives. Elle ne sentait plus la fatigue qui l’avait cloué au sol lors du combat contre les Ombergeists. Elle se sentait proche de retrouver l’état qu’elle avait atteint plus tôt dans la bataille, ce sentiment d’abandon délicieux qui lui faisait oublier la douleur et l’épuisement. C’était comme si le retour de Thorsfeld avait de nouveau rempli ses veines de métal en fusion, la faisant brûler de l’intérieur, l’entourant de flammes qui, loin de la consumer, la poussaient à aller toujours plus loin, au-delà de ses limites.

Le combat ne dura que quelques minutes. Thorsfeld semblait faire tout son possible pour agresser Freya, mais elle évitait chacun de ses assauts. Elle avait l’impression qu’une voix dans sa tête lui dictait à l’avance chacun des mouvements du Dieu-Roi ; elle se sentait glisser sur le pouvoir de Thorsfeld, imperméable à ses attaques. Finalement, il envoya un dernier coup, qui fit trembler le sol, défonçant les pavés tout autour de lui, et brisant d’un seul coup le piédestal de la statue. La fontaine explosa dans une pluie de fragment de glace. L’œil écarlate de Freya y vit une ouverture, et elle plongea vers le Dieu-Roi, faisant pénétrer sa lame dans sa poitrine. Edelynenlassja se planta au centre-même de la cicatrice de Thorsfeld, et ressortit dans son dos, interrompant le cours fluide de sa cape.

Thorsfeld n’eut aucune réaction. Il tomba à genoux face à Freya, qui se relevait avec difficulté, mais il ne paraissait ni étonné, ni même en colère, comme il l’avait été six ans plus tôt. Comme s’il s’attendait à cette issue. Freya retira son épée d’un coup sec ; comme la première fois, elle n’était pas souillée par le sang.

  • Pourquoi ? demanda-t-elle, chuchotant presque, de peur d’être entendue par la foule qui, au loin, plissait les yeux pour distinguer l’issue du combat au milieu du nuage de poussière qui s’était levé autour d’eux.
  • C’était nécessaire, murmura Thorsfeld.

Il se releva, la main posée sur la poitrine. Il ne ressentait pas autant de douleur que lors de sa première mort ; la souffrance semblait lointaine, estompée. Mais il sentait nettement les dernières effluves de son pouvoir le quitter.

  • Je reviendrai, dit-il. Je ne sais pas quand, mais je reviendrai.
  • Je sais.
  • Ne t’avise pas de mourir avant mon retour. Le moment n’était pas venu, mais tu as toujours une dette envers moi.
  • Je sais.
  • Je te confie Dromengard.

Le nuage de glace et de poussière s’envola, et la foule put apercevoir Thorsfeld et Freya se faire face. Le Dieu-Roi était légèrement penché, et sa cape avait disparu.

  • J’accepte avec plaisir, répondit Freya.

Elle fit un tour sur elle-même afin de donner de la force à son épée, et trancha la poitrine du Dieu-Roi. Edelynenlassja traversa sa peau avec facilité, laissant derrière elle une coupure nette.

Thorsfeld s’effondra. Son corps sembla se recroqueviller à terre, comme un insecte brûlé. Sa couronne heurta le sol à côté de lui avec un tintement sonore. À ce même instant, les nuages cessèrent de tournoyer au-dessus de Dolenhel, et la lumière de Gudenlyn disparut. Les nuées se dispersèrent en quelques minutes, comme à l’accélérée, laissant rapidement le ciel apparaitre dans toute sa clarté vespérale. La capitale Impériale se trouva alors de nouveau éclairée par la lumière du soleil de minuit ; les Ombergeists avaient déserté la ville, emportant avec eux jusqu’à la brume surnaturelle qui avait entouré la cité depuis des jours. Le Dieu-Roi avait réapparu, et Freya l’avait vaincu de nouveau.

Dolenhel était libre.

Une clameur extraordinaire s’éleva soudain. La foule en délire acclama Freya à grand renforts de cris, de sifflements et d’applaudissements, ovationnant leur héroïne qui avait triomphé une fois de plus. Des centaines de personnes se déversèrent sur la place pour la rejoindre.

C’est à ce moment qu’elle se souvint de ce qui était arrivé la première fois que Thorsfeld était mort.

Comme en écho à ses pensées, la terre fut secouée d’un tremblement, qui arrêta la foule dans son élan. Puis, très vite, le sol se fendit autour du corps de Thorsfeld, se séparant en énormes morceaux qui basculèrent vers les ténèbres ; un trou béant s’ouvrit dans le sol lorsque la terre se sépara, faisant peu de cas des pavés de pierre que le recouvrait, et qui tombèrent un à un dans l’abîme. La foule s’arrêta et recula en criant, totalement paniquée.

Freya, elle, était rattrapée par ses blessures. La douleur et la fatigue, qu’elle avait ignorées en se mesurant à Thorsfeld, se rappelaient à son bon souvenir en faisant déferler dans ses muscles et dans ses os des vagues d’affliction brûlantes. Elle tenta de se mettre à courir, mais trébucha sur une saillie du sol. Elle fut incapable de se relever ; elle essaya de ramper, mais c’était trop tard : le sol s’ouvrait sous son corps, l’avalant avec le cadavre de Thorsfeld, et elle n’avait plus la force de lutter. Elle se sentit tomber en arrière.

Son cœur fit un bon dans sa poitrine lorsque la gravité s’empara d’elle. Elle chuta pendant de longues secondes, perdant rapidement connaissance. Des morceaux de roc énormes tombaient avec elle ; sur l’un d’eux, elle vit le corps de Thorsfeld glisser, et se désintégrer dans les airs. Son armure et sa peau devinrent poussière, et se disséminèrent dans l’éther. Avant de perdre connaissance, elle aperçut la cité souterraine apparaitre en-dessous d’elle, loin en bas. La couronne de Thorsfeld passa près de son visage et se décomposa à son tour, vidée des réminiscences du pouvoir du Dieu-Roi qui l’avait habité. Mais Freya ne la vit pas se transformer en poussière : sa conscience l’avait déjà quittée.

Ark avait lancé son dragon dans les airs dès que le sol avait commencé à trembler autour du corps de Thorsfeld. Il se jeta en direction du trou béant qui s’était creusé au centre de la place, la transformant en un gouffre vertigineux. Il aperçut Vaughan qui chevauchait vers l’abîme à toute allure.

  • Montez ! cria Ark dans sa direction, lui tendant la main, alors que son dragon frôlait le sol.

Vaughan ne prit même pas le temps de réfléchir. Il agrippa la main d’Ark, et monta sur le dos du dragon, s’accrochant de toutes ses forces aux écailles saillantes de son dos, comme le Prince de Nornfinn le faisait. Le reptile replia ses ailes, et plongea dans le précipice.

Ils repérèrent le corps de Freya, qui tombait vers un des lacs troglodytes que formait la Strome en coulant dans la cité souterraine. Mais elle était trop loin d’eux ; ils la virent chuter et heurter la surface de l’eau, en même temps que des tonnes de pierre, qui s’écrasèrent dans le lac en soulevant des trombes d’eau.

Des milliers de personnes, qui n’avaient pas encore quitté les souterrains, regardaient la scène avec des yeux ronds. Ils avaient vu le plafond de la grotte s’ouvrir, laissant la lumière de l’astre solaire pénétrer sous la terre, et voilà que maintenant, le dragon qu’ils avaient vu voler hors de la cité souterraine était de retour !

Le dragon blanc fonça à la verticale en direction de l’eau, et ne redressa son cap qu’au dernier moment, décrivant un arc de cercle serré qui amena son corps à quelques mètres seulement de la surface de l’eau, qui fut agitée par la masse d’air brassée par ses ailes gigantesques. Vaughan en profita pour sauter.

Sa peau sembla hurler de douleur lorsqu’il pénétra dans l’eau la tête la première, exposant son épiderme au froid glacial du lac. Ses muscles semblaient vouloir se détacher de ses os tant la fraicheur agressait la surface de son corps. La douleur de ses blessures venait s’ajouter à ce concert de brûlures gelées, mais au moins, cela lui permettait de garder l’esprit clair.

Les profondeurs du lac étaient sombres, comme un abîme sans fond. Il ne voyait plus rien, et n’avait qu’une vague idée de l’endroit où Freya avait pu couler. C’est en se raccrochant à des miettes d’optimisme qu’il nagea vers le fond, animé par l’énergie du désespoir.

Ark avait posé son dragon sur le rivage, et attendait que Vaughan réapparaisse. Finalement, son attention fut attirée par un remous à la surface de l’eau ; il ne put s’empêcher une exclamation de soulagement en voyant Vaughan émerger du lac, portant le corps inanimé de Freya dans ses bras. Le Général s’avança, laissant derrière lui une trace humide sur la terre compacte.

La foule des Dolenhelys restés dans la cité souterraine se rapprocha précautionneusement de l’endroit où se trouvait Vaughan, constatant – avec surprise – que le vieux Général n’éveillait pas l’agressivité du dragon qui se tenait près de lui. Vaughan passa près d’Ark, lui lançant un hochement de tête discret mais entendu.

Freya ouvrit légèrement les yeux, luttant contre elle-même pour rester consciente. Elle paraissait déconcertée de se réveiller trempée, dans les bras de Vaughan, et vivante.

  • Tu as vu ? demanda-t-elle avec une petite voix cassée. Ça s’est bien passé.
  • Comme toujours, répondit Vaughan avec un sourire hésitant. Je crois que le moment est venu de te reposer.

Elle cessa de lutter, se laissant glisser dans le monde des songes.

Vaughan remonta le chemin qui menait à la sortie de la cité souterraine, vers l’extérieur de la ville et le palais. Ark le suivait de près. La foule les entoura comme elle avait entouré Freya avant son combat contre Thorsfeld, s’écartant juste assez sur le passage du Général pour le laisser passer. Tous voulaient voir Freya, la toucher, l’effleurer du bout du doigt pour s’assurer qu’elle était toujours là, qu’elle n’était pas un spectre immatériel flottant au-delà des règles de la réalité. Et elle était bien là, à portée de bras, inconsciente mais vivante. Vaughan dut traverser une véritable marée humaine, pleine de bras tendus et de mains tremblantes.

Il s’éloigna peu à peu vers les hauteurs, ne desserrant pas sa prise sur le corps endormi de Freya. La foule se referma derrière eux, enveloppant totalement ses héros, et les menant vers la sécurité qu’ils avaient acquise à force de bras. Mille prières silencieuses les accompagnaient, ainsi que l’espoir renouvelé de tout un peuple.

Personne n’en doutait : ce moment marquait le début d’une nouvelle ère de sérénité à Dromengard.

Le cauchemar était terminé.

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